Pour les Frères franciscains de Saint Bonaventure, de Narbonne

   Personnage déconcertant ce Ponce Pilate. Gouverneur (procurateur) des provinces d'Idumée, de Judée, de Samarie, de Galilée, supervisé par le légat de Syrie de 26 à 36, nous le connaissons par les Évangiles, certes, mais aussi par le plaidoyer du juif helléniste Philon d’Alexandrie, par Les Antiquités juives de Flavius Josephe, ces deux auteurs étant conscrits de Pilate, et par Tacite qui en fait mention dans ses annales écrites entre 114 et 116. 

Ponce est son prénom, latin, de vieille souche. Quant à Pilate, il a sa signification : “lanceur de javelot”. On pencherait plutôt pour dire que Pilate a peut-être été un athlète, l’ère des chasseurs étant révolue, du moins pour les Romains résidant en Palestine.

Tertullien, apologète du IIe siècle, lui conférait d’être “presque chrétien”. Du moins le percevait-il ainsi à la lecture de l’Évangile qui ne l’accable pas, en effet. Pilate semble plutôt soucieux de justice, d’équité, et favorable a première vue au condamné que les juifs lui présentent et qui lui semble innocent. Pilate semble-t-il conquis par ce Jésus ? C’est plutôt la prudence politique qui emportera sa décision.

À l’opposé de Tertullien, la description de Philon n’est guère indulgente envers Ponce Pilate. Dans un texte intitulé L’ambassade de Caius (38, 301s) notre philosophe alexandrin cite

Hérode Agrippa Ier († 44), petit-fils d’Hérode le Grand : “Pilate était cruel par nature; dans la dureté de son cœur, il ne reculait devant rien. Sous son gouvernement, on n’obtenait rien en Judée que par corruption. Partout régnaient l’orgueil, l’insolence, et l’arrogance. Le pays était livré au pillage, opprimé, outragé de toutes les manières; on envoyait les hommes à la mort sans jugement préalable, la cruauté implacable du tyran ne se lassait jamais...

Tacite, toutefois, assure : “En Judée, sous Tibère († 37) ce fut calme.” (Hist. 5, 9). Tout n’était donc peut-êre pas aussi sombre que le prétendait Hérode Agrippa. La partialité hargneuse peut avoir quelque responsabilité dans ce sinistre réquisitoire.

Il reste que Pilate n’est guère fréquentable ! Luc lui-même n’est pas tendre (Lc 13, 1). Flavius Josephe ne trouve rien de bon à relater sur ses dix ans de sa procuration en Judée. Dans Les Antiquités juives, ainsi que dans La Guerre contre les Romains, il ne mentionne que les litiges occasionnés par cet homme arrogant  et inflexible. 

Pilate fait tout pour irriter les juifs. Il introduit à Jérusalem des étendards impériaux, il fait suspendre aux murs du Temple des boucliers à l’effigie de César, lequel avait été, nous dit plus tard Eusèbe de Césarée, invité à entrer au Temple. Enfin il y a l’affaire de l’aqueduc que Pilate veut construire pour amener l’eau en ville. Pour en financer la construction, il réquisitionne les fonds déposés par les juifs dans le trésor du Temple. Tout ce que Pilate entreprend attise évidemment la haine des juifs, qui organisent une manifestation importante à Jérusalem. Pilate menace de mort, brutalise, assassine, fait se glisser ses soldats en civil parmi les manifestants, qui finalement le feront ployer. 

Notre procurateur exprime, à en croire F. Josephe, son “émerveillement” devant la constance des opposants à son projet, lesquels ont tenu cinq jours ! Un peu lyrique, cette grandeur d’âme, a souvent la main lourde. Tous s’accordent à dire que ce chef, dur et volontaire, est nullement embarrassé de faire couler le sang. Par exemple, en l’an 35, quelques mouvements de contestation des Samaritains du Mont Garizim à l’égard d’un illuminé, entraînèrent Pilate à faire exécuter sur-le-champ les notables responsables de cette manifestation. Toutes ces brutalités funestes, décidées à la légère, finissent par agacer jusqu’aux représentants romains. L’année suivante, le légat de Syrie Vitellius, qui le supervisait, le fait déposer. Pilate est renvoyé à Rome, puis vient finir ses jours en exil à Césarée maritime, où il se suicida, fut-il dit, sur ordre de l’empereur Caligula.

Jésus a-t-il intéressé Pilate ? Pas plus que comme prétexte pour contrarier ces juifs qui l’agaçaient. Pressé par la foule qui demande la mort de Jésus, Pilate leur montre insidieusement leur subordination au pouvoir qu’il détient. Car il est le seul en Palestine à disposer du droit de vie et de mort. Mais ce carriériste soucieux de maintenir son autorité, consent finalement, mais “il s’en lave les mains”, à sacrifier Jésus. 

 

Gérard LEROY, le 27 février 2015