Pour Dominique Leviel, avec notre affection

   On est souvent porté à donner à Jésus de Nazareth, au Jésus de l’histoire, pré-pascal, le rôle pure et simple d’initiateur historique d’un mouvement et d’une Église, à la façon dont Ghandi à été le fondateur du mouvement de non-violence qui se réclamait de lui et qu’il organisait. Je crois, pour ma part, que la prise de conscience de ce qu’est le mystère de l’Église a été donnée aux disciples essentiellement par le Saint-Esprit, au cours de l’événement de Pentecôte. Ainsi, les premiers chrétiens ont-ils compris ce qu’était l’Eucharistie sans d’abord vouloir reproduire la Cène du jeudi. Ce geste prophétique de Jésus qui anticipe l’Eucharistie de l’Église est un acte sacramentel de l’Église, qui a surgi par le Saint-Esprit, après la Résurrection.

Jésus-Christ a institué son Église, certes; le croyant est appelé à la rejoindre, ce qui engage assurément le projet ecclésial de Jésus-Christ. Ce projet ecclésial s’origine pour une part en des actes fondateurs que peut rejoindre le témoignage historique (comme l’institution eucharistique), mais d’autre part son origine se confond avec les initiatives apostoliques des lendemains de la Pentecôte. On peut alors parler de l’institution christo-apostolique pour désigner cette part de l’institution dans l’Église, qui engage la foi des disciples au titre même de la confession de foi.

Le Christ n’est pas seulement le fondement de l’être-ensemble des croyants prenant

forme d’Église, il est aussi conjointement celui qui institue la fraternité de ses disciples. L’institution christo-apostolique est un don du Christ pascal dans l’Esprit de Pentecôte, conformément à l’intention de Jésus avant Pâques. C’est pourquoi, à travers son être phénoménal, à travers ce qui apparaît dans sa réalité historico-sociale, à l’instar d’autres groupes religieux, l’Église n’est pas une institution purement humaine dont les croyants pourraient disposer au gré de leur seule responsabilité historique.

Parler de l’Église comme institution c’est souvent désigner ce qui est chez elle socialement visible, tout ce qui la rend concrètement présente dans la société humaine. On pressent que la visibilité sociale n’est pas suffisante à la qualifier d’institution. Car il faut y ajouter la présence de structures garanties, stables, préexistantes à chaque individu.

L’Église-institution apparaît tantôt comme indispensable à l’être de la société, garantissant sa continuité, son identité, sa cohésion, tantôt comme un inévitable mal entraînant la pesanteur, le conservatisme, l’inadaptation de la société-église. Il est vrai que l’Église semble parfois claudiquer. C’est pourquoi elle se couvre de bandages, de plâtres, et qu’elle avance à l’aide de béquilles. Il lui faut tout cela aujourd’hui, dans l’attente du jour où, dans la Jérusalem d’en-haut, elle sera libérée pour être pleinement Église. 

En attendant, pour le temps présent, en parlant de l’Église comme institution, les chrétiens peuvent s’en tenir à circonscrire le terme d’institution comme tout ce qui donne à l’être de l’Église une visibilité sociale, pour autant que cela s’exprime dans un ensemble de structures, de normes et de lois faisant autorité. 

Les chrétiens sont intégrés dans l’Église à des degrés divers. Le discernement doit opérer un tri dans la richesse surabondante des institutions, découvrir des strates dans l’appareil que les siècles ont accumulées. Où se placer dans le fonctionnement de l’ensemble institutionnel complexe des diocèses, des paroisses, des Écritures et des dogmes, des sacrements et des pèlerinages, des facultés de théologie et des écoles, des pasteurs et des permanents, des œuvres éducatives et caritatives, des syndicats catholiques et des organisations apostoliques, des journaux et des maisons d’édition, des ordres religieux et des confréries, et le Vatican...?

Tout cela participe au fonctionnement de l’ensemble institutionnel, qui ne fonctionne pas seulement en agissant, en réfléchissant, en œuvrant, en structurant, mais aussi en étant au monde, en l’écoutant. “L’Église, écrivait le P. Jean-Marie Tillard voici une trentaine d’années, a besoin d’entendre, au dessus des bruits du monde”, pour ne pas perdre mémoire de l’ailleurs d’où elle vient et de l’espérance qui l’habite. 

 

Gérard LEROY, le 13 mars 2015