Voici l'introduction du commentaire d'Ignace Berten paru en juin 2007, de l'ouvrage de Claude Geffré, De Babel à Pentecôte. Essais de théologie interreligieuse
Coll. « Cogitatio Fidei », Paris, Cerf, 2006, 363 pp.

Le pluralisme religieux est un fait. Vatican II, en rupture avec le courant dominant de la tradition catholique, a proposé une vision positive des religions et a invité au dialogue avec les elles : « changement révolutionnaire opéré par l’Église catholique », dit Claude Geffré (p. 15). Mais le Concile n’a pas développé une théologie des religions : peut-on penser que les religions ont une place dans le plan de Dieu ? et comment le penser ? Le Concile n’a pas non plus, et encore moins, commencé à repenser l’ensemble de la théologie chrétienne en tenant compte de cette réalité positive des religions. Ce sont ces questions proprement théologiques que Geffré affronte avec beaucoup de rigueur et de bonheur de pensée et d’expression.

Dès le départ, Geffré nous avertit : il ne s’agit pas d’un chapitre sectoriel de la théologie, car c’est bien l’ensemble de la foi, principalement dans son expression christologique, qui demande à être repensé ou réinterprété à la lumière de la rencontre des autres religions. La difficulté de l’entreprise réside en ce qu’il s’agit d’éviter deux dérives par rapport à la foi et aux exigences de cette herméneutique. D’un côté, le pluralisme religieux ne peut conduire à une théologie pluraliste qui serait une relativisation de la vérité : toutes les religions ne seraient que des expressions fragmentaires du mystère de Dieu, historiquement et culturellement conditionnées, mais aucune d’entre elles ne pourrait prétendre être chemin de vérité sur Dieu plus qu’une autre ; dans cette perspective, le christianisme ne peut revendiquer aucun privilège pour le Christ, qui ne peut avoir de signification proprement universelle. Certains théologiens sont ainsi tentés par un théocentrisme radical qui évacue la dimension christologique universelle du salut. D’un autre côté, il y a une tendance catholique à prétendre que l’Église catholique est la seule détentrice de la totalité de la vérité sur Dieu, dans la crainte et la dénonciation de tout relativisme, en absolutisant le christianisme comme religion historique, dérive à laquelle l’Instruction Dominus Iesus ne résiste pas.

Claude Geffré reconnaît s’engager sur un terrain difficile, pas encore vraiment défriché. Il procède aussi, pour moments, [à] tâtons, en émettant à l’occasion l’une ou l’autre hypothèse. L’honnêteté, le sérieux et la compétence marquent cependant toute sa démarche.

Avant de reprendre l’essentiel de la perspective théologique proposée par cet ouvrage, – seul aspect sur lequel je souhaite développer cette note de lecture, en donnant largement la parole à l’auteur lui-même – une remarque générale. Dans la suite de ses chapitres, le livre est constitué d’un ensemble de textes déjà publiés au cours des dernières années, qu’il s’agisse d’articles ou de conférences. Geffré a manifestement fait un travail considérable de relecture et d’harmonisation de l’ensemble avec, inévitablement, l’une ou l’autre répétition. Ces répétitions sont heureusement très limitées. Par contre, on n’a pas affaire à un traité théologique sur la question, mais à des essais. Et ces essais ont une portée très différente : il s’agit, surtout dans la première partie, d’études théologiques fondamentales, – c’est la partie la plus intéressante de mon point de vue, – tandis que la seconde partie rassemble des études plus occasionnelles et particulières, qui présentent chacune leur intérêt propre et complémentaire par rapport à la démarche d’ensemble : le comparatisme, la rencontre avec l’islam, les apports des trois religions monothéistes, les courants ésotériques contemporains, et que la troisième partie traite d’une question plus particulière, mais très importante : le rôle et le statut de la mission dans le cadre de cette herméneutique interreligieuse.

 

Ignace Berten