Pour Jean d’Alançon, lucarne ouverte sur ce monde à partager

   Proposons brièvement un état des lieux de ce que peut être un débat entre christianisme et transhumanisme, mutatis mutandis, de ce que ce débat pourrait apporter aux uns et aux autres.

La volonté de transformation de l’humanité rejoint les fondements de la civilisation nord-américaine fondée sur une idée de l’avenir laissant apparaître une dimension messianique. La raison moderne étant passée de la soumission au réel à la responsabilité de son histoire, l’avenir est développé selon la conviction que la maîtrise des moyens techniques permettra de surmonter tous les problèmes, psychologiques, sociaux etc. Le transhumanisme questionne la théologie chrétienne. 

Le transhumanisme est-il encore un humanisme ? La métaphysique privilégie l’idée que les êtres ont une nature, au contraire du transhumanisme qui cherche à émanciper l’humanité des déterminations de la nature. Le présupposé du transhumanisme est qu’il n’y a aucune nécessité morale de respecter les processus naturels, d’où la liberté que l’on s’octroie de soumettre, de corriger et d’améliorer ce que la nature a produit. 

Certains transhumanistes, qui travaillent sur la notion de « risque existentiel », envisagent la possibilité d'une rupture perçue par beaucoup comme catastrophique : l'élimination de l'humain par l'intelligence artificielle… ou parce qu'il ne se serait pas engagé dans la mutation transhumaniste. 

On ne manquera pas de remarquer que cette perspectifve véhicule des attentes eschatologiques, avec une tonalité que certains acteurs adoptent comme plus ou moins prophétique. Le transhumanisme reprend en effet la question des fins dernières à différentes échelles. Du fait d'une accélération sans précédent des progrès techniques, l’idée vient que nous sommes à un tournant de l’Histoire, qui s’emballe, qui exalte ou qui inquiète, et qui somme toute fait de ce moment présent marqué par ce progrès un des piliers de cette idéologie. 

L’apologie du transhumanisme peut dès lors prendre des formes résolument millénaristes, mettant en exergue l'idée de singularité. Notion importée de la physique dans la philosophie de l'Histoire par le biais des romans de science-fiction, ce terme désigne le point de basculement au-delà duquel la rupture technologique sera telle que toute prospective est impossible. L’on ne sait donc pas où l’on va. Et quand on ne sait pas où l’on va, on a grand peine à s’y faire accompagner ! Notons cependant que la conviction que l’inédit surgira brutalement n'est pas partagée par tous ces bâtisseurs de Babel ; la plupart la perçoivent comme progressive, et adoptent une attitude qui n’est pas sans rappeler les premiers chrétiens dans l’attente du retour du Christ… 

En tout cas, pour l’ensemble du mouvement transhumaniste, la fin des temps est proche. Heureuse ? Impossible à dire. Imminente ? Progressive ? Les paris sont ouverts. L'être humain entre dans une phase de son évolution pour laquelle tous les repères éthiques et politiques actuels doivent s’apprêter à s’effondrer. Un nouveau Royaume effacera la Loi qui nous régit aujourd’hui. Une nouvelle loi surgira-t-elle ? C'est cette perspective eschatologique qui conduit les transhumanistes à demander une révision des processus actuels de bioéthique, car la situation nouvelle invaliderait des distinctions antérieures, comme celle qui s’établit aujourd’hui entre l’homme « augmenté » et l’homme « transfiguré ».

Gérard Leroy, 13 juin 2018