Pour Anne-Françoise Caux, en hommage amical
   
Observant le retour massif du religieux sur la scène publique en  Occident, on peut dégager en touche en se disant que “ça ne se passe pas chez nous, ça se passe à l’autre bout du monde, en Iran, en Amérique latine ou ailleurs”. On constate cependant que le religieux privatisé, le religieux optionnel, qui ne concerne que la conscience de chacun, est capable de développer des effets sociaux considérables.

Ainsi aux USA les protestants évangéliques qui depuis toujours s’étaient tenu à l’écart de la scène politique, se contentant de défiler dans la rue pour empêcher les super marchés de vendre de l’alcool le dimanche après-midi, ou de rédiger des pétitions pour qu’on cesse d’enseigner dans les écoles la théorie de l’évolution, sont entrés d’une façon brutale sur le terrain du politique pour participer et assurer la seconde réélection de Reegan, à travers des mouvements comme la Moral maturity, ou la Christian coalition qu’on a vu plus récemment en faveur de Clinton. Il est clair qu’ici on n’est plus devant du religieux privatisé. 

Les manifestations de dévotion populaire ont repris du service. Les processions en limousin, les pardons en Bretagne etc. se multiplient, alors qu’on avait cru que tout cela appartenait à un monde dépassé, qu’il y avait là des traces d’un monde rural, médiéval, en voie de disparition, où survivaient encore quelques attardés. 

Dans le même temps s’étend la sécularisation et triomphe le libéralisme. Entraînée vers sa disparition par la déferlante sécularisante, la religion en France ne fait plus partie du paysage, elle n’englobe plus la vie des gens, la société tend à l’ignorer. Elle devient une affaire privée.

C’est moins du libéralisme économique qu’elle est victime que du libéralisme culturel. Car en effet, et sans doute en grande partie sous l’influence de l’informatique, nous voilà emportés vers toutes sortes de distinctions catégorielles qui véhiculent l’idée d’une séparation entre les différents domaines, le religieux, le politique, et surtout, cette césure entre sphère publique et sphère privée. C’est cette mise à l’écart vers la sacristie que les croyants perçoivent comme un rejet, une mise “hors service”. C’est sur ce point que se heurtent encore aujourd’hui le catholicisme et la modernité libérale. 

La subjectivité a, depuis quelques décennies, le primat sur le dogme. Car c’est l’essence même de la modernité libérale que d’admettre que si la vérité existe, elle est subordonnée au sujet, relative à celui qui fait l’expérience, délestée de toute censure, sans qu’aucune autorité puisse intervenir.

Il y a pourtant une objectivité des contenus de la foi. Mais cette approche va a contrario de notre culture dans laquelle chacun ayant a priori, et sur toutes choses —sur le juste et sur l’injuste, le vrai et le faux, le bien et le mal—, son opinion, sa petite idée, chacun voudrait que son idée soit universelle, et donc que tous y soient soumis. Chacun aspire à imposer sa vérité. Tous les mandarins, tous les caciques en puissance cherchent à imposer leurs vues. Chacun dans sa tanière, anthropologique, philosophique, religieuse, voyant midi à sa porte entend bien qu’il soit midi pour tout le monde. Et qu’on se le dise ! 

Du coup, n’est vrai que ce qui est en relation avec moi. Et l’on passe du règne de la vérité au règne de l’authenticité : être soi-même et non pas adhérer à des vérités de l’histoire est bien plus important ! Choisir ce qui est pertinent pour sa propre expérience dans le large éventail des croyances celles qui font sens pour soi, qui apportent du réconfort, ou même quelque utilité, quelle densité ça peut avoir, quelle authenticité ?

 

Gérard LEROY, le 22 novembre 2016