Pour mes amis du GIP 11 que la question turlupine

   La désacralisation du monde moderne servirait-elle le sacré de la foi, ou bien faut-il, comme cela a été suggéré jadis, contrarier la sécularisation en marche et recréer des zones de sacré afin que la foi de l’homme moderne y trouve de quoi s’abriter, voire y prendre racine  ? 

La sécularisation et la laïcisation ont été saluées par de grands théologiens catholiques ainsi que des philosophes protestants, en ce que l’histoire nous entraîne à sortir du complexe mental et institutionnel de la chrétienté qui imprègne les croyants chrétiens occidentaux depuis l’ère constantinienne et le césaropapisme. C’est cette libération vers une nouvelle chrétienté que visait le concile Vatican II. Il s’agit de donner un témoignage plus pur de l’Évangile, dans le respect des autonomies propres au monde. Ainsi le croyant est-il invité à prendre appui sur sa conscience propre, pour exercer sa liberté, s’émanciper par rapport à ses institutions quand celles-ci lui confèrent un rôle de tuteur d’une civilisation. Le croyant est avant tout missionnaire de ses textes fondateurs, même si l’on reconnaît que la foi ne peut vraiment être enracinée dans un pays que lorsqu’elle a pénétré la civilisation qui, en conséquence, se verra estampillée d’un qualificatif religieux.

Certains théologiens catholiques ont voulu en leur temps, restaurer la chrétienté. D’autres saluaient avec joie le processus de désacralisation du monde, tandis que d’autres encore voulaient le resacraliser. 

Au fond, ce que recherchaient ces gens n’était que le nécessaire enracinement de la foi dans l’histoire présente. Et ce qu’il refusaient, c’était la séparation radicale du temporel et du spirituel, du sacré et du profane, du croyant —et ils pensaient surtout au croyant chrétien— et du politique. Ce qui anime ces gens, et le contraire nous surprendrait, c’est l’évangélisation du monde, ce qui suppose la présence des croyants chrétiens —et il en va de même pour les autres confessions—au monde.

Bien que les concepts restent à mes yeux encore assez flous, il semble qu’on se soit enfermé dans une fausse opposition du sacré et du profane. Que l’on consacre le monde n’exclut pas le respect de sa légitime profanité. 

Au principe d’une réflexion sur ce sujet, il nous faut nous accorder sur la définition du sacré comme une mise à l’écart. Pas une marginalisation, ce qui supposerait une anormalité, mais une mise à part. Ce qui n’ôte rien à la profanité, respectable, du monde. 

Il reste qu’en vertu du mystère de la création il y a un sacré originel, qui coïncide avec la vérité du monde dans son “en-soi”. Ce qui doit être retenu c’est que le vrai sacré religieux est de nature relationnelle, et ainsi ne compromet-il pas l’autonomie du profane. Nous sommes ainsi retenus d’opposer le sacré et le profane comme deux “en-soi”. Vouloir localiser le sacré, réinstaurer des zones de sacré, c’est retomber dans le sacré magique des religions. Les croyants ont à montrer l’enracinement du sacré dans ce sacré originel qu’est le mystère même de l’homme, comme ouverture à une transcendance.  De sorte que le critère du vrai sacré religieux pourrait être sa valeur anthropologique.  

Le sacré authentiquement religieux assume la condition terrestre, la fonde et même l’exige. Il établit une relation avec un Être, ou des êtres, dont l’homme se sent finalement dépendant, individuellement et comme inscrit dans la totalité humaine. Cette conscience d’une appartenance totale, ontologique, appelle une consécration entière de l’homme, de ses œuvres, du monde auquel il se mêle.

Le lieu originaire du sacré c’est le cœur de l’homme. Le cœur de l’homme comme ouvert à une transcendance,

Le sacré n’est donc pas un “en-soi”, chosifié, mais une relation objective, co-extensive à tout être. Le sacré et le profane ne peuvent être opposés, parce que sur deux plans différents.

 
Gérard LEROY, le 12 avril 2016