À la fin du XIXe siècle, la République étant devenue un fait institutionnel se cherche un esprit. Cet “esprit républicain” se caractérise lui-même par la liberté de penser, et se développe dans un climat de tension et de lutte qui prépare la séparation de l’Église et de l’État.

Cette liberté de penser, antérieure à l’esprit républicain qui se l’approprie, reprend le courant anti-dogmatique des Lumières, que renforce l’Église catholique emmenée par Vatican I. En revanche on décèle un certain nombre de connivences entre la philosophie laïque et le protestantisme libéral que représente, en France, Auguste Sabatier, disciple de Schleiermacher, qui professe que la foi est essentiellement “émotion, sentiment”. On retrouve dans les deux courants une image assez semblable de la personnalité de Jésus et de son rôle dans l’histoire.

Éclatent les deux guerres mondiales qui bouleversent les idéologies. Excepté sans doute Paul Valéry, les penseurs français n’ont pas conscience de la crise de civilisation consécutive à la première guerre. Quand arrivent les années trente, les Maritain, Mounier, Fessard se placent à l’avant-garde de ce mouvement de réflexion sur la crise. Avec eux, émerge alors, au sein de la perspective chrétienne, le problème du salut temporel de l’homme.

L’essor ultérieur des sciences humaines et de la vague structuraliste des années soixante nous éloignent de ce temps qu’est le temps de confrontation idéologique qui suit la seconde guerre mondiale. L’espérance chrétienne est alors confrontée à deux athéismes distincts : l’existentialiste et le marxiste, avec lesquels le débat reste ouvert sur le terrain de l’humanisme.

Les philosophies existentielles développent une problématique du sens qui s’impose aux autres partenaires du débat. On peut dès lors fonder l’hypothèse qu’il y a un itinéraire qui va de la question du sens à la question du salut. On observe ici et là, comme une rémanence, des évocations du salut dans des contextes qui se sont délestés de la référence chrétienne. Il y a pourtant un ton, même parfois une référence, religieux, qui sont impliqués dans cette notion. On peut relire à ce propos les dernières lignes des Mémoires de Raymond Aron, qui se souvient de conversations dans lesquelles il parlait de “faire son salut laïc, avec ou sans Dieu”. Surprenant de sa part, d’autant qu’il a reproché aux religions séculières de réinvestir dans le temporel l’espérance du Royaume éternel !

La théologie catholique, quant à elle, implique une double référence : sotériologique, comme une délivrance, une libération, et eschatologique, donnant à l’être humain une destinée par-delà la mort. Ce qui est en cause c’est l’enjeu spirituel d’une vie humaine.

Dans son Introduction à la philosophie de l’Histoire (NRF 1948), R. Aron reconnaissait que “Dieu seul pourrait peser la valeur de tous les actes, mettre à leurs place les épisodes contradictoires, unifier le caractère et la conduite.” (p. 71).

Alors quel sens peut véhiculer le mot “salut” ? Ou bien il nous amène à confronter le déroulement de la vie et une idée directrice ayant valeur de norme. Ou bien il nous faut donner un contenu à l’idée d’une destinée humaine. L’hypothèse de travail s’appuie sur le fait que la problématique de la destinée humaine permet une ré-appropriation philosophique du thème chrétien du salut : “Oui ou non, la vie humaine a-t-elle un sens et l’homme a-t-il une destinée ?” C’est la question que pose Maurice Blondel en ouvrant sa thèse sur L’Action. Son objectif est de manifester le rapport de l’annonce chrétienne du salut à l’interrogation de l’homme sur lui-même.

Cette problématique tente d’abord d’opérer une jonction entre le passé et l’avenir. De quel avenir parle-t-on ? Une réponse vient aussitôt du laïcisme républicain qui place le salut indépendamment de toute portée eschatologique.

 

Gérard LEROY, le 7 mai 2016