Pour Roland Covarel, en hommage amical

   Le salafisme est un courant religieux du sunnisme si hétérogène qu’il est difficile de l’appréhender, et dont les orientations sont parfois surprenantes. On les croirait proches des Frères musulmans et pourtant ils ont soutenu leur renversement en Égypte. Ils s’opposent d’ailleurs au mouvement tunisien Ennahda, tandis qu’en Syrie l’une des factions rebelles qu’ils ont constituée se distingue, voire s’oppose, aux Frères musulmans regroupés dans une autre brigade.

Là où ils sont, un peu partout engagés depuis le printemps arabe ils sont soutenus par le puissant parrainage saoudien.

Tout, pour eux, a commencé au XVIIIè siècle. En 1744 exactement. Une rencontre eut lieu entre un chef religieux, Mohammad b. ‘Abd al-Wahhâb, et l’émir (gouverneur) de la région, Mohammad b. Sa’ûd. Ils conclurent un pacte instaurant un État Saoudite, cautionné par l’autorité religieuse d’Abd al-Wahhâb. Leur doctrine, appelée wahhâbite, se fonde sur l’unité divine absolue (tawhîd), qui dépouille l’essence divine de toute analogie avec la créature, et condamne d’ “associationnisme” tous ses adversaires qui accolent un Fils et un Saint-Esprit au Dieu unique. 

 

Le wahhabisme, version extrême du salafisme jusqu’à s’en distinguer, est le rite le plus obscurantiste du sunnisme, hissé au rang de religion en Arabie Saoudite. Son but est d’instaurer un État islamique, fondé sur l’application stricte de la sharî’a, où le Coran et la sunna seraient les seules sources du droit. Il a entrepris de combattre militairement ses adversaires pour retrouver la pureté de l’islam perdue. 

Les salafites sont fondamentalistes et prônent un retour à l’islam des origines. Ils se considèrent parfois comme les seuls orthodoxes, pratiquant jusqu’à l’absurdité l’orthopraxie. Il n’est donc pas étonnant que leurs prédicateurs appellent à la séparation radicale des sexes et excommunient les chi’ites de la communauté musulmane. Au nom de l’altérité transcendantale de Dieu ils s’opposent au soufisme dont les grands maîtres, tel al-Hallaj qui visait à l’identification avec Dieu qu’il adorait.

Le salafisme est traversé par trois grands courants, ce qui entraîne souvent des confusions. 

Le courant majoritaire est quiétiste. Les fidèles de ce courant s’en tiennent à l’observance religieuse mais ne se mêlent pas de politique. Ce qui le distingue d’un second courant, né en 1991 à l’occasion de la guerre Iran / Irak, et qui, lui, s’est carrément opposé à l’intervention des occidentaux dans ce conflit. Enfin, le courant le plus rigoriste, né avec le conflit afghan, est djihadiste et appelle à la guerre sainte qui n’est autre qu’une guerre contre les impies “associationnistes”, i.e. les chrétiens. 

Vecteur d’influence, pendant longtemps, de l’Arabie saoudite, ceux qu’il a générés, tel Al-Qaida, se sont retournés contre la famille des Al-Saoud. Les Saoudiens étaient devenus perplexes vis-à-vis de cet équilibre politico-religieux. Car on savait que, loin de Ryad, les rejetons de la famille royale se vautrent dans le luxe de la Côte d’Azur, et reçoivent en leurs villas de rêve les belles scandinaves envoyées par une agence d’Escort girls de New York. Et par dessus le marché, les Al Saoud autorisent la présence de troupes américaines sur leur sol ! On assiste donc à la présence de chrétiens armés sur le territoire qui abrite les lieux saints, en particulier La Mecque : voilà qui est perçu comme une provocation par les intégristes musulmans. 

Face aux défis posés par le nationalisme arabe et au nassérisme, le salafisme se développe à partir des années 1990 et s’implante, non seulement dans le monde musulman, mais aussi en Occident. Le message de leurs prédicateurs est relayé par des chaînes de télévision soutenues par les monarchies du Golfe persique. À l’instar de tous ces mouvements politiques (communisme) ou religieux (hezbollah) qui ont adopté la stratégie consistant à se disposer aux côtés des plus démunis, ils ont réussi à gonfler leurs rangs.

En Tunisie et en Égypte, les salafistes ont quitté leur quiétisme, et commencent à montrer leur volonté d’instaurer un régime vraiment islamique, celui que vise le courant djihadiste.

C’est sur le salafisme traditionnel que le régime militaire égyptien s’est appuyé pour contrer l’influence croissante des Frères musulmans, à l’instar de l’Arabie saoudite, qui avait autrefois protégé les Frères,  jusqu’à ce que ceux-ci soutiennent l’Irak de Saddam Hussein contre le Koweit et l’Arabie saoudite. Le parti égyptien Al Nour, depuis la répression des Frères musulmans et l’éviction de M. Morsi, apporte un soutien ferme au régime militaire de transition.

En Tunisie, les salafistes sont actifs auprès de la population, mais ne se retiennent pas d’exercer impunément leur pouvoir par la violence. Quant à Ennahda, ce parti a fait le choix de l’épreuve de force. Le gouvernement les traque. 

Partout les salafistes sont le porte-parole de l’idéologie saoudienne, laquelle est radicalement opposée à la voie démocratique.

 

Gérard LEROY, le 14 mars 2014