Pour Jean Ormières, en hommage amical

   Du fait de sa nature ambivalente, le mouvement transhumaniste ne pouvait qu’éveiller de vives réactions de la part des religions, attisées par les polémiques qu’aiment amorcer ceux qui sont moins en faveur de ce courant que friands de provocations envers les religions. 

Qui sont les acteurs du transhumanisme ? Des gens qui se définissent comme rationalistes, autrement dit des positivistes animés du présupposé qu’il convient d’abord d’être défiant dans leur rapport avec les religions. Les pères fondateurs du transhumanisme, belgo-iranien et américain, ont toujours cultivé une franche hostilité à l’égard des religions, durcie par cette guerre des cultures, la « culture wars », éclose au temps de Georges Bush qui avait institué un Conseil de Bioéthique donnant lieu à des affrontements ouverts entre les « bioconservateurs » et les « technoprogressistes ». 

C’est alors qu’un sociologue, américain, théorise le nécessaire affrontement entre le transhumanisme, qu'il tient pour une nouvelle religion, plus cosmique, mieux adaptée au nouveau contexte technologique, et les traditions religieuses. On avait connu cela dans les années 60 avec les théoriciens de la mort de Dieu qui, soulignant le déphasage de Dieu par rapport à la culture moderne, avaient alors tenté de re-fabriquer un christianisme qui puisse coller à l’homme moderne et étaient parvenus à un “christianisme athée” tout à fait farfelu.

Les vives réactions des chrétiens ont vivement manifesté un rejet du transhumanisme au nom d'un bioconservatisme assumé aux États-Unis, développant aussi des thématiques qui concurrencent le transhumanisme dans son interprétation de l'évolution.

Mais, depuis une dizaine d’années (les fondateurs sont décédés en 2000 et 2011), cette hostilité s’est apaisée pour laisser place à des relations plus modérées. Le mouvement est désormais plus ouvert à une discussion avec les milieux religieux. Des rencontres avec des autorités religieuses ont précédé plusieurs sommets transhumanistes, à Toronto ou à Oxford. D’ailleurs, l’un des principaux financiers du mouvement n'a jamais caché son attachement au christianisme.

Les travaux de l'Institute for Ethics and Emerging Technologies (IEET), ont aussi contribué à apaiser le débat, sans parler des tendances ouvertement religieuses au sein du transhumanisme ou encore de la branche transhumaniste de l'Église mormone. 

Les chrétiens se soucient d'une approche plus constructive, à l'image des publications collectives et des séminaires organisés par quelques théologiens de l'American Academy of Religion.

En France, les positions demeurent assez tranchées. Les responsables de l'Association française transhumaniste se revendiquent du « matérialisme ». Aspirant sans doute à imiter Marcel Gauchet ou Paul Ricœur déclarant que notre modernité était entrée dans l’âge post-religieux de la foi, le philosophe Abdennour Bidar fait du transhumanisme la voie de sortie du religieux. Les éditeurs, organes de presse et institutions chrétiens sont en général très critiques, avec le souci de dénoncer les dangers des thèses transhumanistes. En partenariat avec la région des Hauts-de-France, l'Université catholique de Lille a pour sa part décidé de former un espace d'information, de débat public et de recherche, à travers la création d'une chaire « Éthique et transhumanisme ». L'enjeu est de conduire une réflexion dans la durée, en cultivant une discussion critique et ouverte, afin de dégager à la fois le meilleur et les risques.

 

Gérard Leroy, 1 décembre 2017