Pour mes amis Michel Bonnot, Bernard Kouchner, et Bernard Touchot qui rentrait de Kaboul le 7 août, lendemain du massacre, qui sont très au fait du problème afghan pour s’y impliquer depuis longtemps, qu’ils me pardonnent d’ajouter mon grain de sel.

 

  La question se pose de plus en plus fréquemment : faut-il ou non laisser les troupes françaises en Afghanistan ? dans quelle mesure participent-elles à sa reconstruction qui passe par le rétablissement de la paix.

Sans nul doute un retrait signifierait-il l’abandon des Afghans à la dictature des talibans, et parmi eux, des femmes, privées de toute autonomie, et des gosses, privés de toute instruction scolaire et plus encore de jeux et d’apprentissage à tout art.

Mais il faudrait que la population autochtone perçoive de façon positive la présence de militaires venus de l’étranger. Chaque bavure à déplorer augmente encore l’incompréhension de la présence des troupes de l’OTAN, auxquelles on attribue d’emblée la responsabilité.

Pourtant, au risque de leur vie bien souvent, des personnes de toutes disciplines s’installent ou séjournent en Afghanistan, apportant leur compétence et leur service à une population pour le moins dépourvue. Au risque de leur vie. N’a-t-on pas oublié un peu vite les victimes du massacre du 6 août 2010, toutes employées de l’International Assistance Mission (IAM) ? Alfred Grosser prend la peine de rappeler qui étaient ces personnes dans le journal La Croix. Le chef de la mission, un américain de 61 ans, s’était installé en Afghanistan avec toute sa famille depuis plus de trente ans, période qu’il avait mise à profit pour créer des centres de soins, des cliniques. Une femme de 36 ans, chirurgien d’une clinique privée de Londres, avait quitté son douillet environnement pour rejoindre l’équipe. Le jour du massacre elle se préparait à son mariage prochain. Les autres, Afghans, Allemands ou d’ailleurs, étaient là pour agir en faveur de la population. Ce dont on n’a pas conscience en Afghanistan. A. Grosser insiste pour que dans le pays même où se produisent ces actes ignobles, fruits de l’imbécile et méprisante ignorance, on sache de quel côté sont les Barbares dont ce peuple est l’esclave.

Il est urgent et nécessaire que ce peuple en vienne à apprécier la bêtise de ces analphabètes qui prétendent être les seuls dignes représentants d’un islam qu’ils ignorent dans ses fondements même. Mais pourquoi le gouvernement afghan n’use-t-il pas du moyen immense qu’offre la télévision, pour que des oulémas venus de toutes parties du monde, au fait du Coran et capables de l’expliquer, ne produisent pas une formation à l’islam, à leur manière, ou même à la manière dont use Ghaleb Bencheikh sur France 2 chaque dimanche matin ? Et qu’est-ce qui empêche les Européens de s’impliquer en faveur de ces tâches préventives ? Allo Bruxelles ? Vous entendez ? Il y a de la friture sur la ligne ? Normal à Bruxelles !

Mais le mouvement des talibans n’est pas le seul à prendre en compte. Ce serait sans doute plus simple sans être pour autant plus facile. Au centre du problème n’est-ce pas la situation des Pachtounes qu’il conviendrait de considérer ? Écartés de la gestion de l’Afghanistan depuis 2001, séparés par la ligne de frontière avec le Pakistan, les Pachtounes expriment leur frustration par la révolte. Et se rallient, pour beaucoup d’entre eux, à ce groupe très influent qu’est le TTP (Tehrik-e-Taliban Pakistan) en conflit avec le Pakistan. Le TTP c’est un mixte de djihad international et de talibanisme pachtoune. Le TTP est implanté à Makeen, dans le Sud Warizistan, et œuvre tout le long de la frontière par l’action de trente groupes qui contrôlent leur territoire par la terreur.

Le chef du TTP, Baitullah Mehsoud, a été tué lors d’un affrontement avec les troupes américaines. Deux “héritiers” poursuivent son funeste projet : son fils, Hamikullah Mehsoud, lié à Al-Qaida. Spécialiste d’attaques contre l’OTAN, leader officiel du TTP, il est basé en Orakzai, d’où il commande huit à dix mille hommes. Le second hériter, Wali-ur-Reihman, est cousin du premier. C’est l’homme fort du Sud Warizistan; il contrôle les sources de financement du TTP; il est à la tête de vingt à vingt cinq mille hommes. 

 Le TTP dispose d’assez de force pour menacer le Pakistan de déstabilisation. Al-Qaida, qui est en quelque sorte l’âme du TTP, veut créer un grand califat qui serait théorisé par les idéologues wahhâbites. Al-Qaida soutient les insurrections des nationalistes pachtounes, comme il soutient par ailleurs les ouïgours et les tchètchènes, et fragilise les États et amplifie la lutte contre les chi’ites et les soufis, naturellement considérés et haïs comme hérétiques.

Une réunion, qui s’est tenue à Khost (Afghanistan) en septembre 2009, sous l’égide de Mollah Omar, a confirmé celui-ci comme coordinateur des talibans afghans et pakistanais. L’issue de cette réunion n’a pas manqué de renforcer le front des talibans des deux pays, répandus tout autour de la frontière afghano-pakistanaise, comme pour mieux la contrôler. C’est là que se rassemble la majorité des pachtounes, écartés depuis dix ans des postes à responsabilité en Afghanistan. La solution ne passe-t-elle pas par une amorce de solution du problème pachtoune ?

 

Gérard LEROY, le 10 septembre 2010