Livre testament d’un normalien, professeur de mathématiques à l’université, berger animant un centre spirituel dans la Drôme, chantre de l’expérience intérieure, insistant sur la différence d'une religion d’autorité fondée sur des structures de gouvernement et d’enseignement recourant au besoin à la contrainte, et une religion d’appel, spécifique du christianisme, où le témoignage prend le pas sur les structures.

Examinons le rapport de la foi à la modernité. Les croyances sur Dieu ataviques, traditionnelles, sont laminées tant les conclusions qu’elles entraînent dans la vie de chaque jour sont contestées par les connaissances qu’on a désormais du réel, qui se révèlent d’une grandeur et d’une diversité inimaginables. On peut même se demandes si Dieu au sens judéo-chrétien existe encore pour la majorité des hommes.

L’effondrement de la croyance en un Dieu législateur et juge tout-puissant a accompagné  l’écroulement des normes extérieures qui visait à imposer des limites aux comportements des hommes.  Mais la notion de péché garde sa raison d’être lorsque l’homme est suffisamment intériorisé pour reconnaître en lui les exigences qui relèvent de la fidélité à ce qu’il se doit de par ce qu’il est (cf. Julien Sorel) C’est quand l’homme ne correspond pas à ses exigences intimes qu’il y a péché, un péché qui, par sa nature, déborde l’infraction à la loi comme l’homme, en son être profond, dépasse ses comportements.

Il est des fidélités qui dictent des désobéissances (Jésus enfant au Temple) comme il y en a qui exigent beaucoup plus que ce que la loi peut commander. Et il est des obéissances qui sont des infidélités lorsque derrière l’observance de la loi, on refuse des exigences sur lesquelles celle-ci est muette.

Il faut tourner le dos au moralisme légal de Paul qui a préféré le mot d’obéissance à celui de fidélité. Pourtant, celle-ci sous-tend une adhésion sans réserve à ce qui est exigé au plus intime de soi alors que l’obéissance est imposée du dehors par un supérieur. La fidélité déborde l’obéissance de toute l’intériorité que  l’obéissance n’implique pas. Observée à contre-temps, l’obéissance peut être un obstacle à la vie spirituelle et au souci vrai du prochain.

Le bien est l’ennemi du mieux. Il y a danger de la notion d’un Bien absolu, séparé des contingences où il s’incarne. Plus que jamais, il faut laisser à chacun les délais larges qui lui sont nécessaires, de par ce qu’il est, de par son hérédité, de par la société où il vit (cf. Rousseau) pour qu’au cours d’expériences qui peuvent être coûteuses, il prenne sa vie en mains et s’y tienne avec persévérance. Même les états passionnels qu’il peut connaître, avec  leurs crises de violence qui semblent sur le moment le dévoyer gravement, peuvent lui être nécessaires pour qu’il trouve sa voie (Paul, Augustin, Foucauld…)

L’universel en devenir ? C’est le lieu impensable et à venir où Dieu et l’homme, l’un dans son déploiement sans cesse  en acte, l’autre à l’extrême jamais atteint de son devenir, se rejoignent. Cet appel à la conversion n’a rien à voir avec une règle d’obéissance imposée à tous en vue d’une uniformité comme celle qui a été recherchée dès l’origine à l’intérieur de chacune des Églises naissantes.

La réussite de la Chrétienté comme tentative d’universel est surfaite : principalement sociologique, peu enracinée dans la profondeur de l’homme puisqu’elle n’a empêché ni la colonisation, théorisée par le roi très catholique d’Espagne agissant au nom du pape et donc de Dieu, ni l’esclavage qui l’a accompagnée, elle s’avère avoir été toujours fragile et souvent remise en question.

Peut-on parler de compréhension complète d’un texte révélé lorsque son message, comme toute œuvre créée par l’homme sous la motion de Dieu, comporte un sens à venir qui se déploie en proportion des besoins et des potentialités de l’homme qui l’accueille au niveau où elle est née ?

Le problème vient de ce que les Églises, par la lourdeur de  structures qui se veulent divines, par leur préoccupation exclusive de conserver le Message, se trouvent de plus en plus en retard sur l’évolution des esprits, sur la compréhension des besoins et des aspirations des hommes du temps, pour que ceux-ci accueillent le Christianisme au niveau où il peut être chez eux appel et ferment. La foi est souvent confondue avec l’adhésion à des vérités considérées comme universelles jusque dans leurs expressions malgré les contingences de leur gestation et de leur enseignement. La vraie révélation, c’est Jésus qui révèle Dieu par ce qu’il a été, ce qu’il a vécu, la manière dont il s’est donné dans ce qu’il a dit et fait et qui a évoluée avec la conscience croissante qu’il avait de sa mission.

Commentaire de Xavier Larère
L’analyse de Marcel Légaut montre bien que la peur de la nouveauté et l’obsession de l’uniformité (plus que celle de l’unité ?) ont développé dans l’Église une conception de l’obéissance qui a dégradé l’image de Dieu. Ne faudrait-il pas alors  revenir aux fondamentaux ?

La Révélation n’est ni une idée, ni un concept, mais un visage ; ce  n’est pas un dogme, mais une rencontre. Dieu est un père, et un père parfait qui aime parfaitement ses enfants, et à ce titre on peut, et on doit en faire le portrait suivant. Sans aucun anthropomorphisme puisque on lit dans le Deutéronome « le Seigneur ton Dieu fait ton éducation comme un homme fait celle de son fils » :
-   Dieu sait qu’être père, c’est aimer quelqu’un avant qu’il vous aime, avant même qu’il existe
-    non seulement Il  n’est pas jaloux du bonheur de ses enfants (Claude Geffré), mais il le veut
-    il les laisse vivre leurs vies, il les laisse libres même si cette liberté est aussi difficile à vivre pour lui
-    il est prêt à discuter avec eux, pour les aider à y voir clair en eux-mêmes
-    il est patient, il leur passe beaucoup de choses
-    s’ils s’égarent, il les mets en face de leurs responsabilités
-    il n’exige rien, surtout pas de sacrifices
-    mais, si ses enfants l’aiment, c’est son bonheur, car si l’homme peut cesser d’être fils, Dieu ne peut pas cesser d’être Père.

Reconnaissons au passage que ce portait de Dieu ne facilite pas la compréhension réciproque avec l’Islam, car le vocable « Père » ne figure pas dans les 99 noms que le Coran attribue à Allah.

Dans l’esprit de notre portrait, on se demande pourquoi Magnificat nous propose en exemple une bienheureuse abbesse qui provoque la mort d’une nonne en lui refusant, un jour de jeûne et de… sous une grande chaleur, un verre d’eau…
Plus sérieusement, je suis perplexe quand je vois que, dans le canon de la messe, le mot ‘amour’ ne figure qu’une fois, celui de miséricorde quatre fois, mais ceux de ‘puissance’ et de ‘toute-puissance’ onze fois. Sur ce dernier point, on n’oubliera pas que là où l’Église a été toute puissante, le rejet a été d’autant plus violent.

L’image de Jésus a été moins déformée que celle de Dieu car le portrait dessiné par les rédacteurs des évangiles était suffisamment précis pour nous faire entrevoir ce que c’est de vivre en permanence sous le regard de Dieu. Je pense quand même qu’on ne met pas suffisamment en avant le fait que Jésus est un homme qui a vécu et qui est mort les bras ouverts car, comme le dit un proverbe : « On ne retient bien que les bras ouverts ».

Pendant sa vie active, après chacun de ses nombreux miracles, il ne cherche pas à retenir les bénéficiaires, mais les laissse  repartir vivre leur vie avec, au plus, un judicieux conseil « Ne pèche plus ». Il est mort les bras ouverts et je suggère d’aller méditer à St Germain l’Auxerrois (5ème pilier à dr) où se trouve un Christ crucifié, dressé sur un socle sans la croix de bois, les bras déployés, c’est saisissant.

Xavier Larere   29 janvier 2013

cf. Marcel Légaut, Un homme de foi et son Église, Desclée de Brouweer , Paris, mars 2011