Pour Pierre, mon petit-fils, que le sujet intéresse


   Selon la loi française en vigueur promulguée en octobre et décembre 1997, l'étourdissement,  dans le cadre de l'abattage rituel, n'est pas obligatoire. D’autre part, il est admis que le sacrifice ne peut être réalisé que par un sacrificateur habilité par un organisme religieux agréé par le ministère de l'agriculture sur proposition du ministère de l'intérieur. Ainsi les sacrificateurs juifs sont habilités par la Commission Rabbinique Intercommunautaire de Paris agréée par arrêté du 1er juillet 1982 du ministre de l'agriculture sur la proposition du ministre de l'intérieur. Les sacrificateurs musulmans quant à eux, sont habilités par les mosquées qui bénéficient de l'agrément d'organismes religieux habilitant des sacrificateurs rituels.

La loi française prescrit que seuls des procédés mécaniques peuvent être utilisés pour immobiliser les animaux des espèces bovine, ovine et caprine abattus rituellement. L'animal doit être maintenu jusqu'à la fin de la saignée et ne peut pas être suspendu avant. La loi ajoute qu’ il est interdit de suspendre un animal vivant et lorsqu'il est encore conscient.

Quelle est la position du Coran ? Le Coran, pour sa part, impose à plusieurs reprises —et c’est cela qui paraît le plus important— de prononcer le nom de Dieu au moment de l’abattage, et non un autre nom ce qui est illicite (haram).  Si le Coran n’a pas de prescription concernant le mode d’abattage des animaux il pose des interdits, que l’on découvre dans la Sourate 5, et notamment au verset 3. C’est la Tradition (Sunna) qui fixe les procédés présentés comme canoniques. “La sunna est bel et bien responsable de la prolifération des interdits alimentaires dans la loi islamique.”  (1).

La distinction entre les procédés licites (halal) et les procédés illicites (haram) est clairement établie dans la Sourate 5 (Sourate de La Table servie). La strangulation, la noyade ou l’asphyxie sont illicites selon cette Sourate, tout comme la lapidation. Les formes illicites de mise à mort sont qualifiées de qatl, c’est-à-dire de meurtre.

Les procédés de mise à mort diffèrent selon la taille de l’animal, à cause même des degrés de maîtrise que l’homme peut avoir sur cet animal. Il est quasi impossible de tuer les camélidés (dromadaires et chameaux) et les bovidés par dhabh (égorgement). On est en effet plus apte à les tuer par nahr (à l’aide d’une lame).

Pour les bovins et les camélidés, l’immolation consiste à enfoncer la lame du couteau dans la fossette susternale, soit sous l’os plat qu’on appelle le sternum situé sur la face antérieure du thorax, soit à la base du cou pour le dromadaire.

Pour le petit bétail, ovins et caprins, le procédé admis comme paradigmatique consiste à sectionner la trachée artère, l’œsophage et les deux jugulaires. Les prescripteurs de l’égorgement ont pensé que c’était la méthode la moins douloureuse et la plus rapide. On peut donc admettre que le souci de l’animal a été déterminant dans le mode d’abattage.

Le gibier et les animaux domestiques requièrent des considérations  particulières en ce qu’il est difficile de leur appliquer les conditions de mort canoniques.

À la chasse la mort de l’animal doit être conséquente à une blessure sanglante. Dans le ‘aqr, c’est-à-dire dans une mort donnée par l’atteinte d’une partie quelconque du corps, le corps de la bête est ouvert afin que du sang s’en échappe. Pourquoi l’effusion de sang conditionne-t-elle la licéité ? Parce que, disent les juristes, le sang est “l’âme liquide”. Ainsi la mort du poisson n’est pas perçue comme une asphyxie et les poissons qui flottent morts sur l’eau sont ils licites à la consommation. Les animaux marins ont un statut singulier que leur attribue les doctrines juridiques musulmanes. Ils vivent dans un milieu totalement différent de celui de l’homme, ils n’ont ni la même morphologie ni la même physiologie et ils sont dénués de ce sang qu’on identifie à “l’âme liquide”.

Enfin les reptiles et les insectes sont licites à la consommation sans qu’il soit besoin de les soumettre aux conditions rituelles de mise à mort.

Il faut retenir que la doctrine juridico-rituelle varie selon les écoles. Au XIIIè siècle, à Cordoue (2), les discussions pour établir la distinction entre le licite et l’illicite ont tourné autour du postulat implicite selon lequel l’homme et l’animal sont semblables. La doctrine mâlikite déclare illicite le nahr pour le petit bétail, et diffère de la position imamite en ce que celle-ci réserve strictement le nahr aux camélidés. De nombreuses écoles considèrent qu’à chaque type de bétail correspond un procédé de mise à mort. Les Hanbalites et les Hanafites penchent pour la licéité de tous les procédés.

On admettra la grande difficulté à établir une loi qui par nature doit être universelle, imposant un procédé de mise à mort quand ceux-ci diffèrent selon la bête à abattre, et plus encore en regard de la diversité des écoles juridiques musulmanes.

 

Gérard LEROY, le 16 mars 2012

  1. cf. Mohammed Hocine Benkheira, article Interdits alimentaires, in Dictionnaire du Coran, sous la direction de Mohammad Ali Amir-Moezzi, Robert Laffont, 2007
  2. Selon le commentateur et juriste Al-Qurtubî († 1273)