Pour le Fr. Daniel, avec mon fraternel respect

   Voilà Saint Jérôme réapparu avec Ivan Illich auquel un récent numéro des Études consacre un article. Le philosophe indigné nous avait prévenus : « La corruption du meilleur engendre le pire ».

L’Église catholique est en crise. C’est sans nul doute parce qu'elle est devenue ce qu'elle n'aurait jamais dû devenir : une institution. Elle partait pourtant d'une bonne intention quand au XIe siècle elle a tenté de se dégager des liens de vassalité qui tissaient la société féodale.

L’Église est une institution, certes. Mais l’Église a une vocation permanente, celle de rappeler, au-delà des cris du monde, la mémoire d’où elle vient et l’Espérance qui s’y fonde. Jésus-Christ a institué son église. Elle s’origine à des actes fondateurs et se confond avec les initiatives apostoliques des lendemains de la Pentecôte. Le Christ n'est pas seulement le fondement de l'être ensemble des croyants ; il est également et conjointement Celui qui institue la fraternité de ses disciples. L'institution christo-apostolique est don du Christ pascal dans l'esprit de Pentecôte. Elle n'est pas à confondre avec une institution humaine.

Communion avec Dieu, communion avec les autres à travers une communion avec Dieu, ces deux éléments essentiels constituent l’Église de Dieu, fidèle à sa vocation.

L’Église arpente l’histoire. Elle n’a pas encore quatre siècles d’existence que saint Jérôme pointe le doigt sur sa première dérive : « Depuis les Apôtres jusqu’à notre époque, l’Église a grandi par les persécutions, a été couronnée du martyre. Et quand sont venus les empereurs chrétiens, sa puissance et sa richesse ont augmenté, mais ses vertus ont diminué. »

Peu à peu les effets se sont accumulés. Le personnel ecclésiastique a mimé la hiérarchie monarchique, il s’est « professionnalisé ». Il gère les conditions matérielles de sa croissance et sa structuration, sa reproduction et son pouvoir temporel relativisant l'humble et difficile tâche d’annoncer l’invraisemblable irruption de Dieu dans l’histoire. Une administration centrale hyper-organisée prend le dessus, au profit des spécialistes ecclésiastiques ; la bureaucratie domine, via les commissions, les assemblées multiples, les conseils. Résultat ? Des abandons, des désertions, une raréfaction des vocations, des chrétiens que les homélies moralistes ennuient, des églises qui se vident, un Christ renvoyé à l’école buissonnière. Le malaise se maintiendra tant qu’une mentalité cléricale « auto-référentielle » favorisera la rigidification de ses clercs.

La pauvreté  la malnutrition, le mal-développement, la croissance anarchique des mégapoles, une « pauvreté modernisée », marquée par un degré inédit d’anomie, le monde souffre de ses infections nosocomiales. La course à l'industrialisation du monde a entraîné une dé-personnalisation massive des liens sociaux.

Emportée par ce tourbillon l’Église elle-même s’est dépossédée de sa capacité à annoncer le mystère de l’Incarnation tandis que la collectivisation des structures sociales continue de nous couvrir de la froideur de l’ indifférence. Tout cela que favorise une a-moralité machiavélique entrainant une société encadrée et gérée par des anonymes cybernétiques.

L'Europe se déchristianise à grande vitesse. L’avenir du christianisme ? Il dépend de la capacité des chrétiens, donc de ses clercs et du reste, à annoncer la Résurrection. Laisse béton les homélies moralistes ! La tâche n’est pas aisée. Ce n’est pas le chemin qui est impossible, c’est l’impossible qui est le chemin. C’est le moment d’ouvrir les pistes qui articulent l'illimité de la parole à la finitude de la chair.

 

Gérard Leroy, le 2 juillet 2021