Pour Bernard S., avec mon amitié

   Certains s’interrogent sur l’institution par le Christ de l’Eucharistie, n’oubliant pas que le Christ a demandé de faire « mémoire » du dernier repas. Où prend-on qu’il nous ait demandé d’en faire quelque chose de sacré ? « Faites ceci en mémoire de moi » est-ce une formule d’institution d’un quelconque sacrement ?

Au sens littéral ce terme « eucharistie » exprime la gratitude de celui qui a reçu un don. Les Grecs d’aujourd’hui usent du mot efcharistó pour dire merci.

L’« eucharistie » a son fondement dans la Cène de Jésus (cf Lc 22,19 ; Mc 14, 22 ; 1 Co 11, 23). Ce soir-là Jésus donne à manger son corps et à boire son sang sous la forme empirique du pain et du vin. La signification du sang est précisée : il est celui qui est versé par Jésus pour fonder une nouvelle alliance avec Dieu (cf. Is 42 à 53). Jésus est en même temps désigné comme devant mourir d'une mort sanglante, que Jésus accepte librement, par obéissance à « son Père ». Cette mort violente fonde une nouvelle alliance. Le corps et le sang de Jésus (cf. 1 Co) sont offerts par Jésus à la Cène. En le consommant, on atteste la mort de Jésus, avec son efficacité salvifique. On la rend efficace. Tous ceux qui le reçoivent forment la communauté de l’unique corps pneumatique de Jésus-Christ, ce que dit saint Paul dans 1 Co, 10, 16.

« Faites ceci en mémoire (anamnèse) de moi » est un commandement à « faire ceci », qui garantit que là où les disciples de Jésus accomplissent « ceci » toute la réalité du Christ est présentement efficace.

Dans l'Ancien Testament le mémorial de la sortie d'Égypte est attestée comme anamnèse, i.e. comme l'acte décisif et encore toujours valable du Dieu sauveur envers son peuple ; dans le Nouveau Testament l’anamnèse eucharistique est attestée d'une manière semblable. De ceci on peut définir théologiquement l’anamnèse comme une célébration rapportant un événement de l'histoire du salut pour que cet événement puisse s'emparer de la situation présente des célébrants. Cela suppose (à la différence de bien des formes de célébration culturelle dans d’autres religions) qu'il s'agit d'un événement historiquement unique et qui garde ce caractère unique tout en étant présent. L’anamnèse pourrait être comprise comme une « re-création » d’un événement unique de l’histoire. L’anamnèse est une célébration qui re-présente un événement de l'histoire du salut, qui garde ce caractère unique tout en étant présent, qui a une valeur permanente comme événement accompli, au delà du simple souvenir. C’est une valeur permanente, une démarche personnelle qui se rapporte au salut du célébrant, une commémoration anticipée du salut à venir.

L'unique sacrifice de Jésus reste ainsi agissant d'une façon durable dans l’histoire. Il est rendu efficacement présent et agissant par l'action liturgique représentative de la grandeur essentiellement historique qu’est l'Église dans la célébration eucharistique.

On peut donc conclure que l’Eucharistie est un sacrement fondamental institué directement par le Christ à son dernier repas, sacrement dans lequel le corps glorieux et le sang du Christ sont réellement présents sous la double matière du pain et du vin.

Cette consécration doit être comprise comme un réel changement d'une substance, celle du pain et celle du vin de la vigne —comme matériaux— en un autre, à savoir la chair et le sang de Jésus —comme forme—. Les fidèles se nourrissant du corps et du sang du Christ accomplissent l’acte qui a pour effet premier de rendre présent le sacrifice de la Croix à tel moment concret dans la trame de notre histoire. Cette « présence réelle » durable du Christ reste cependant nécessairement relative à l'acte par lequel elle est opérée et aussi à sa destination qui est d'être reçue, « mangée », par les fidèles. L'effet de l’Eucharistie est donc, mais pas que, individuel. L’Eucharistie fait de la communauté visible des fidèles un signe qui ne fait pas que signifier une grâce et une volonté divine de salut possibles, mais qui est la réalité tangible et durable de cette grâce et de ce salut. Le sacrement de l’Eucharistie et la sacramentalité de l'Église sont donc étroitement liés.

Gérard Leroy, le 5 août 2022