Pour Bernard S. (4/8), amicalement

   On a longtemps compris le rite comme la partie contingente de la religion. Une religion sans rites est en effet peu envisageable. Une nation vit au rythme de ses rites (Tour de France, 14 juillet…). En religion, le rite est principe visible de différenciation. L’on tend, par les gestes rituels, à se démarquer, à souligner sa singularité au sein d’une tradition. La normalisation des rites entraîne parfois des controverses. L’important en christianisme est de sauvegarder, par delà le rite, l’unité foncière de la foi.

Loin d’être un jeu superficiel, le rite est un geste symbolique qui relie l’homme au sacré, lequel, en religion chrétienne, transcende le rite par le sacrement. Le rite est sans conteste un pertinent miroir et un puissant véhicule de sens du sujet collectif qui le pratique. Sous la République des Césars, faire montre de religio c’était répéter des gestes précis, réglés par la Constitutio religionum. Depuis la nuit des temps, les hommes et les dieux, s’associent au cœur des rites pour lutter contre le retour au chaos originel (cf. Égypte).

Le rite est itératif. Il est lié au temps, tout entier à l'intérieur de chacun de ses fragments. En épousant les cycles biologiques de la nature, ou les cycles d'un calendrier concocté par l'homme, la fête rituelle marque la fin d’un temps et célèbre l’aube d’une ère nouvelle, chargée d’espoir. Ainsi en est-il de la nuit de la Saint-Sylvestre, comme des parieurs du PMU rassemblés chaque dimanche matin pour conjurer le hasard et capter la chance. Ainsi en est-il de la fête du cheval célébrée par les chamans de l'Oural qui offrent l'âme du cheval sacrifié au cours d'une cérémonie religieuse annuelle.

Ainsi en est-il enfin de la perception du rite pascal, qui marque la fin de la Passion et qui est chargé de l’espérance eschatologique offerte par le sacrifice de Jésus. Il y a un caractère collectif du rite. Les séquences, les protocoles sont régis par des « spécialistes », des lévites, des brahmanes ou des prêtres, les maîtres du rite liturgique, les grands ordonnateurs, les censeurs d’une liturgie normalisée.

Le rite peut réaliser l’anamnèse d’un événement passé de l’histoire, la Cène en l'occurrence. Le rite se présente ainsi comme l’agent de liaison de l’homme avec le sacré, le transcendant, révélé en l’occurrence.

Les études ethnologiques nous rapportent la caractéristique structurante du rite.

Le rite religieux en Europe sert de paradigme à d’autres sociétés a-religieuses (la franc-maçonnnerie par exemple). Nous sommes invités à faire œuvre d’inventivité dans un monde en mutation. Prenons le sacrement des malades. Il doit aider, permettre à certains malades d’assumer leur angoisse et la violence qui s’y attache (cf. le sida). Observons, dans l’Ancien Testament, les malades atteints de la lèpre. Cette affection excluait, radicalement, tout porteur de la lèpre. Toute une série de rites en lien avec son état devait être appliquée (se montrer aux prêtres, seuls autorisés à homologuer le nouveau statut du lépreux guéri) (Lv 13 - 14).

Pour sa part, le Christ va, sans la renier, relativiser cette gestion, puisqu’il n’hésite pas à franchir les barrières de la mise à l’écart des lépreux en allant les toucher. Mais il demande aux malades qu’il a guéris de se montrer quand même au prêtre, autrement dit de se conformer aux pratiques sociales de l’époque où le rite a une importance considérable (cf. Mt 8, 2). Avant de manger, les pharisiens se lavent rituellement les mains, jusqu’au menton. Pourquoi Jésus, l’indiscipliné,  ne le fait pas ? (Mt 15, 1, 2). Et d’ajouter : « Malheur à vous qui êtes spécialistes de la Loi (…) Vous n’êtes pas entrés, et ceux qui entrent, vous essayez de les en empêcher ! » (Lc 11, 52).  « Le sabbat a été fait pour l’homme, et non l’homme pour le sabbat. » disait Jésus (Mc 2, 27).

Nos temps modernes délaissent tout ce qui n’entre pas dans le champ de l’expérimentable, du palpable.

 

Gérard Leroy, le 22 juillet 2022