Pour Muhammad Hanou, en hommage amical

   Nous vivons dans une société plurielle. Quel que soit le mode sur lequel vit la société, il nous faut, pour vivre en harmonie, nous respecter, dans nos identités, s’accepter. Mais pour cela il faut avant tout se connaître. Il ne s’agit pas de répondre à une soif, si légitime soit-elle, d’anthropologie culturelle, mais de mieux connaître l’autre avec lequel on est appelé à cohabiter. Voilà pourquoi j’appelle à mieux connaître les grandes religions dont l’importance grandit dans le jeu d’échecs mondial.

Les étudiants savent bien que le travail théologique consiste à lire les textes de façon critique, interprétative et significative pour l’homme d’aujourd’hui. Les étudiants cherchent à déchiffrer le sens des textes, historiques ou mythiques pour comprendre l’expérience historique et culturelle présente. 

Les musulmans, aujourd'hui, endurent une sorte de mise à l’écart par l’Occident, à cause du retard technique, militaire, économique, qu’ils accusent et reconnaissent. Ils craignent aussi la sécularisation croissante, greffée à la modernité. Les musulmans sont face à un défi idéologique, théologique en l’occurrence, qui doit ré-interpréter l’islam contre ses dévoiements. Le travail auquel sont conviés aujourd’hui les musulmans est de cet ordre. Ce n’est pas du rafistolage qu’ils doivent entreprendre, ni du toilettage, c’est la refondation de la pensée théologique, un travail historique et critique auquel appelait Mohammed Arkoun, et à sa suite Ghaleb Bencheikh et d’autres intellectuels musulmans, qui justifie de faire reculer une interprétation de l’islam insensée, aberrante et meurtrière.

Nous avons à soutenir les musulmans qui exercent leur intelligence et se dotent de courage pour dépasser tout un patrimoine calcifié, sortir des clôtures dogmatiques, s’affranchir des enfermements doctrinaux... Les doctrines, les idéologies, qui esquivent la critique, qui refusent le débat, finissent par être atrophiées. Il ne leur reste plus pour subsister que le fanatisme et son expression violente.

C’est à ce dévoiement que sont confrontés les musulmans. Aujourd’hui, 90% des sites musulmans présentent une interprétation salafiste de l’islam. Le populisme les soutient, qui se nourrit de la sensibilité victimaire, pour s’entendre dire : « On va vous faire une place ». Question : en échange de quoi ? À Trappes, le parti qui a gagné les élections législatives précédentes avait fait construire une mosquée. Le parti des Frères Musulmans s’est ensuite écroulé, le salafisme a occupé le champ libre : Résultat : 87 départs de Trappistes en Syrie ! (record Européen)

On ne peut pas se prévaloir d’une quelconque loi céleste pour l’imposer à autrui, comme ces ulémas qui criminalisent l’apostasie tandis que des terroristes sillonnent les bourgades affolées du Kurdistan sur leur pick-up, s’aidant d’un mégaphone pour brailler que Dieu interdit la musique ou qu’il ne faut pas manger de concombre parce qu’il rappelle le sexe masculin ! Si on continue à croire que la transcendance nous contraint, jusqu’à nous dicter de tuer, il y a lieu de se lever pour désacraliser la violence. Il faut donc aujourd’hui s’attaquer aux fondamentalismes, moins en cherchant à dé-radicaliser qu’en palliant les dégâts causés par l’inculture et les préjugés. C’est pas une mince affaire.

 

Gérard Leroy, le 20 mai 2022