Dernier volet de la conférence sur l'encyclique Laudato si' donnée à Saint-Bonaventure de Narbonne le 10 décembre 2015

Pour Marie, ma fille

    Un éclairage nouveau a été apporté par l’encyclique aux débats en les replaçant dans la perspective d’une “écologie intégrale”.

Ce texte stimulant soulève quelques questions : Quelles peuvent être les conséquences du réchauffement climatique sur l’agriculture et l’alimentation ? Comment l’agriculture et la forêt peuvent-elles aider à lutter contre le réchauffement climatique ? Je rappelle que, en 2012, 18 millions d’hectares ont été détruits. C’est autant de CO2 stocké naturellement dans l’éco-système qui est envoyé dans l’atmosphère. On préconise un marché international du carbone. Est-ce la solution pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) dont 15 pays seulement sont responsables à 70%. Une “taxe carbone” au niveau international, que soutient en France N. Hulot, permettrait d’apporter une aide de 100 milliards de dollars/an aux pays pauvres afin de s’adapter au changement climatique. C’est l’un des principaux enjeux de la COP 21 qui garde en mémoire que 650 milliards sont alloués aux énergies fossiles .

Si un “marché du carbone” est envisageable, le pape, cependant, pointe du doigt le risque de spéculation. Le pape nous met en garde contre les affectations d’argent qui oublieraient les pays

pauvres (cf la corruption qui ruine certains pays africains). Nous pourrons nourrir le monde en 2050 si les bons choix sont faits tant pour accroître la production agricole que pour faciliter l’accès à l’alimentation des plus pauvres. L’agriculture et la forêt peuvent contribuer à réduire les émissions de GES. Des réponses sont possibles. 

Face aux discours apocalyptiques (cf J.P. Petit), il nous faut aussi savoir porter celui de l’espérance, celui de l’innovation et de la solidarité. La maîtrise des risques préjudiciables à la santé, à l’environnement, à l’économie, passe par l’innovation scientifique et technologique, les partenariats ainsi que la mise en place de politiques publiques de prévention. La mobilisation et la collaboration de tous les pays, via les ONG, est également un élément essentiel, selon l’encyclique.

Les orientations suggèrent quelques précautions préalables. Ainsi l’encyclique prend ses distances par rapport au paradigme technique. “Il n’est pas pensable, lit-on au n° 108, qu’on puisse se servir de la technique comme d’un pur instrument. Le paradigme technique est devenu tellement dominant qu’il est très difficile d’utiliser ses ressources sans être dominé par leur logique.” L’homme devient un fonctionnaire de la technique, inscrit dans un processus sans fin. Ce faisant “nous sommes dans l’oubli de l’être.” Pour revenir à l’être il faudrait cesser de s’approprier la nature, de vouloir la dominer, et abandonner ce rapport à la nature avec laquelle nous n’avons plus aujourd’hui qu’un rapport instrumental.

Autre domaine visé, le paradigme financier. n°194 : “Le discours de la croissance (...) enferme les valeurs du discours écologique dans la logique des finances et de la technocratie; la responsabilité sociale et environnementale des entreprises se réduit d’ordinaire à une série d’actions de marketing et d’image”. On se souvient que le Sommet de la Terre, siégeant à Rio en 1992, avait exprimé le rejet de l'idéologie de progrès illimité née au début du XVIIe s. avec Francis Bacon et cultivée au XIXe siècle.

Enfin, selon l’encyclique, la dynamique politique ne semble pas suffisante, en regard de la culture, à résoudre les problèmes environnementaux. Car elle doit s’émanciper par rapport aux impératifs de l’économie, ce que rappellent les n°189 et 197. Le §123 ajoute ceci : “Les projets politiques et la force de la loi ne seront pas suffisants pour que soient évités les comportements qui affectent l’environnement, car, lorsque la culture se corrompt et qu’on ne reconnaît plus aucune vérité objective ni de principes universellement valables, les lois sont comprises uniquement comme des impositions arbitraires et comme des obstacles à contourner.” Il nous faudrait donc adopter un comportement, qui relève moins du droit ou de la morale que de l’éthique, fondée elle-même, vous l’aurez compris, sur une vérité universelle.

D’autre part, “Si la crise écologique est manifestation de la crise éthique, culturelle et spirituelle de la modernité, nous ne pouvons pas prétendre soigner notre relation à la nature et à l’environnement sans assainir toutes les relations fondamentales de l’être humain” (n°119).

Et si “Le progrès, l’accumulation d’objets ou de plaisirs, ne suffisent pas à donner un sens ni de la joie au cœur humain” (n°209), “on peut vivre intensément avec peu, dit le n°223, dans les rencontres fraternelles, dans le service, dans le déploiement de ses charismes, dans la musique et l’art, dans le contact avec la nature, dans la prière ”. 

Pour ma part je suis enclin à croire que le monde de demain s’articulera autour d’une société moins marchande, moins soumise à la compétition, moins cupide, et que les gens se poseront la question de ce qui les rend heureux, qu’ils découvriront que les plus beaux moments d'une vie auxquels renvoie notre mémoire le sont à cause de moments d’amour. On est traversé par des coups de cœur, des coups de foudre, on s’émeut à la naissance d'un enfant, on se réjouit de l’accomplissement artistique ou professionnel, de la réussite sportive, de la guérison d’un proche. Ça n’est jamais une satisfaction matérielle, liée à l'argent. Le bonheur que l’on quête est dans les pratiques culturelles sportives, dans les temps familiaux intenses, les partages avec les enfants, les petits-enfants, et le redéploiement des relations amicales festives.

Le jour viendra —et il commence à poindre— où l’on s’apercevra que rien ne vaut le moment partagé avec un ami autour d’une tranche de saucisson et d’un bon verre de Bourgogne, tandis qu’une main d’enfant se glissera dans la vôtre et que ses yeux s’ouvriront au conte que vous leur réservez.

La situation présente requiert en effet un changement d’attitude, et l’apprentissage de styles de vie respectueux de la création et des êtres qui la composent. La réparation de ce qui a été commis requiert la responsabilité de tous. Le point de départ de cette voie c’est la Bonne Nouvelle que Jésus est venu prêcher. Cette conversion vise à favoriser la coexistence harmonieuse entre les différentes composantes de la “maison commune”. Il nous faut prendre “conscience d’une origine commune, d’une appartenance mutuelle et d’un avenir partagé par tous” dit le n°202. Un tel virage exige au préalable une éducation à l’émerveillement (s’adressant à nos petits-enfants si gâtés, si blasés) devant la beauté de la création, l’indignation devant sa destruction, le respect de la personne humaine, de la parole donnée, l’amour de la vie, la solidarité, l’honnêteté, le service désintéressé.

Retenons-nous de nous laisser entraîner à la démesure prométhéenne, qui voudrait prendre la place de Dieu. On cultive actuellement le projet de géo-engénierie, qui réparerait de manière technologique les dégâts causés par la technologie, par exemple en injectant dans la stratosphère du sulfate pour réparer le problème d’effet de serre, en déviant les rayons du soleil, en incurvant l’axe de rotation du globe... Voilà l’ultime vanité à laquelle on parvient. Le pape rappelle “l’humain à sa place” qui doit “mettre fin à ses prétentions de dominer la terre de façon absolue”. Comme à Babel ! Au n° 34, François dénonce notre prétention à substituer à une beauté, irremplaçable et irrécupérable, un autre monde crée par nous” et rappelle, au §74, la considération que nous devons avoir pour la figure de ce Père créateur et unique maître du monde”. 

Finalement il nous faut abandonner l’ivresse du pouvoir, endiguer la tentation de domination, et passer par l’apprentissage d’une certaine démaîtrise. (de la soumission au réel à la responsabilité de n/ histoire).

Nous avons à construire un monde fondé sur la transcendance de l’homme, sa dignité d’image de Dieu et ses droits inaliénables. Visons un monde où l’on érige des ponts qui unissent, où les ressources servent au bien de tous, où les générations à venir ne sont pas sacrifiées à cause de notre égoïsme, où les pauvres ne servent pas de dépotoirs aux riches, où l’homme reste à sa place sans briguer celle du ciel. 

Le pape aura articulé les orientations à suivre d’abord sur la prévalence du bien commun, qu’il place sous le signe de la subsidiarité dans les n° 157 & 196. Rappelons que la subsidiarité est un principe en vertu duquel ni l’État ni aucune société ne doit se substituer à l’initiative et à la responsabilité des communautés qui lui sont subordonnées. Toute collectivité, depuis la famille jusqu’à l’empire, doit pouvoir gérer ses affaires à la mesure de ses moyens, et ne transmettre le pouvoir à une autorité supérieure que pour des questions qu’elle est incapable de gérer ou résoudre. Ainsi les États de l’Union Européenne conservent-ils leur autorité sur tout ce qu’ils peuvent gérer directement, et déléguer au pouvoir de Bruxelles ce qui n’altère pas leur souveraineté.

Le bien commun, écrit le pape, exige le bien-être social et le développement, selon le principe de subsidiarité. Finalement, le bien commun requiert la paix sociale, qui ne se réalise pas sans une attention particulière à la justice distributive, dont la violation génère toujours la violence. Toute la société —et en elle, d’une manière spéciale l’État,— a l’obligation de défendre et de promouvoir le bien commun.” (§157)

La grandeur politique se révèle, lit-on au n° 178, quand, dans les moments difficiles, on œuvre en pensant au bien commun à long terme. Il est urgent, pense le pape au n° 175, “de mettre en place une véritable Autorité politique mondiale”, une sorte d’instance de gouvernement mondial fondée —je répète le § 202— sur “la conscience d’une origine commune, d’une appartenance mutuelle et d’un avenir partagé par tous”. Le pape s’oppose au passage au néo-malthusianisme, qui insiste sur la limitation des ressources de la Terre en regard de la croissance démographique.

Enfin, si la nature a une valeur en elle-même, c’est en tant que don de Dieu (n°119) et non pas telle quelle, comme le déclarent certaines philosophies écologistes plus radicales. Le pape attaque de front l’obsession de la croissance durable (n°194) et l’exploitation débridée de la nature (n°106). Il va même jusqu’à prôner la décroissance (n°193). Mais précisons : en regard du couple dialectique croissance/décroissance il y a une alternative, qui s’établit sur la croissance et la décroissance sélective, consistant à développer les énergies renouvelables,  l’agro-écologie etc., et à décroître l’exploitation des énergies fossiles. Mais ce n’est pas aux pays pauvres de montrer l’exemple, mais aux pays à grande capacité économique de faire que leurs technologies soient accessibles aux pays lâchés par le peloton.  

Dans un monde “où il y a tant d’inégalités, le principe du bien commun se présente comme la conséquence logique et inéluctable, un appel à la solidarité et à une option préférentielle pour les plus démunis.” (n°158). Cette option exige de considérer avant tout la  dignité du pauvre, à la lumière de la foi. “Riche et pauvre, lit-on au n°94 ont une égale dignité parce quele Seigneur les a faits tous les deux”, “petits et grands, c’est Lui qui les a faits” (Pr 22,2 & Sg 6,7). Une authentique approche écologique implique une approche sociale qui intègre la justice (cf §49). “Il n’y aura pas de nouvelle relation avec la nature sans un être humain nouveau. Il n’y a pas d’écologie sans anthropologie adéquate”, écrit le pape au n°118. C’est en effet l’humain qui nous préoccupe. Les premiers qui trinquent sont toujours les mêmes. On est passé d’une préoccupation purement environnementale au sujet humain.

Le défi qui nous est lancé passe par la prise de conscience de la solidarité à l’échelle mondiale. La réforme du système économique qui prend l’eau n’est pas l’exclusive de nos efforts. Il y a la lutte pour les droits de l’homme dans les pays émergents, c/ il y a la lutte pour la défense des droits de la Terre. 

Les pouvoirs de la science nous ont ouvert des voies insoupçonnées il y a un demi-siècle, mais qui ne sont pas sans danger. La question clé c’est la maîtrise rationnelle de l’homme. Comment prévenir les effets pervers de ce que nous expérimentons aujourd’hui comme progrès ? Comment faire que la terre soit encore habitable par les générations futures ? Dans son Principe de responsabilité J. Habermas nous y invite. C’est toute la question de l’auto-limitation du pouvoir humain qui se pose.

Face à l’éventualité d’un chaos écologique d’ordre planétaire, une théologie de la création devient plus urgente, en ce qu’elle peut donner un fondement radical à notre confiance dans l’avenir, dans la vie, dans l’être. Les monothéismes partagent la même foi au Dieu créateur avec la certitude que le Dessein de Dieu c’est la réussite de l’accomplissement de la vocation de l’homme-image-de-Dieu comme intendant du monde qui lui a été confié. 

Les libertés humaines se mobiliseront-elles pour inverser le cours fatal des choses ? Elles sont en tout cas sensibilisées par cette encyclique. Les altermondialistes proclament qu’ “un autre monde est possible”; Edgar Morin déclare que l’improbable reste possible. La foi chrétienne nous assure que l’homme est responsable, en tant que co-partenaire de Dieu dans le dessein qu’il a pour le monde, qui ne peut s’accomplir ni sans Dieu ni sans l’homme. 

Gérard LEROY, le 17 décembre 2015