Pour Andrée Canovas, en hommage amical

   À y regarder d’un peu près, les Écritures rapportent plusieurs catégories de foi. D'une part, la foi qu’en Grec on appelait métanoïa, i.e. la foi de conversion, celle d'Abraham (Paul la loue en Romains 4), celle que les Apôtres suscitent (Actes 3, 38) dans leur prédication ; d'autre part, la foi en des enseignements ("croyez à mes paroles"), la foi en laquelle s’origine « la doctrine » de l’Église. L’acte de foi fondé par ces deux approches, se construirait donc sur une structure dialectique.

Luther a opposé la foi qui enseigne et ne convertit pas, à la foi-confiance au Christ qui sauve du moment qu’en lui la vie se projette par adhésion à sa résurrection. Le théologien suisse Emil Brunner, lui, assimilait la foi des catholiques à un « tenir-pour-vrai » (ce que l'Eglise enseigne infailliblement) ; pour les réformés, la foi est une « rencontre de personnes ». 

On n’entend guère de convertis déclarer : « en me convertissant, j'ai adhéré à vos vérités, aux enseignements de l’Eglise ». On entend plutôt : « j’ai rencontré Jésus-Christ, Dieu est désormais au centre de ma vie ; j'ai opté pour l’Évangile. » Une décision absolue a été arrachée dans l’existence du converti, dont dépend toute la signification de son existence. Selon les philosophes de la religion, tel Kierkegaard, la foi ne s'intéresse pas d'abord aux dogmes, aux articles de foi que les chrétiens rassemblent dans le Credo ; ce qui constitue le noyau de la foi, c'est la rencontre bouleversante d’une personne, venue très tard dans l’histoire des hommes, qui s’est interprétée comme l’Événement de l’histoire, qui a été condamnée, qui a souffert la crucifixion, qui est morte et qui est ressuscitée. Le converti, c’est Abraham, qui quitte tout pour aller vers le chemin qui lui est montré… Le credo est la formulation conséquente de la rencontre de Jésus-Christ.

Le magistère de l’Eglise catholique, dans sa prudence, a craint le subjectivisme, et l’immanentisme. La préférence pour la « foi-adhésion-à-des-vérités » est exprimée dans la définition de la foi par Vatican I et dans le serment anti-moderniste. C’est ainsi qu’on entend parfois : « Avant, j'avais des croyances ; je me suis converti ; et maintenant, je crois ».

N’allons pas pour autant supposer deux espèces de foi, et se demander si l’une est vraie, laquelle, et l’autre fausse ?

L’adhésion au credo, redisons-le, est relatif à l’adhésion à Jésus-Christ, lequel entraîne un attrait pour la connaissance de celui qu’on reconnaît comme Christ. En analysant les faits, on constate qu'il s'agit de la même et unique foi chrétienne. Cette foi se structure de telle sorte qu'elle est fondamentalement conversion, mais que cette conversion entraine nécessairement un autre temps de la foi où la connaissance prend sa place plus explicitement. Ce qui montre bien qu'il s'agit d'une structure à deux temps dialectiques. La foi-conversion est habitée par le désir de savoir et de comprendre qui est ce Jésus qu'elle a rencontré et tout ce qu'il engage. Ce serait un mauvais signe si, insistant sur la foi-conversion, on en arrivait à mépriser la foi-connaissance. 

Et inversement (1). 

D'ailleurs, si le catholicisme romain a souvent privilégié la "foi-connaissance" au détriment de la "foi-conversion", le protestantisme a tellement insisté sur la foi-conversion qu'il en est parfois arrivé à mépriser la foi-connaissance. Ce fut le cas de Luther.

En résumé, il m’apparaît périlleux de réduire la foi à n'être que conversion, ou que connaissance. La santé de la foi est dans une causalité réciproque des deux aspects qui la structurent.

 

Gérard LEROY, le 2 décembre 2018

(1)  cf. G. Leroy, L’Événement, ed. L’Harmattan, 2018, pp. 114-115 et 241ss.