Maurice, c’est ainsi que j’aimais vous appeler, j’avais décidé de vous rendre visite à la Maison Ste Thérèse. Trop tard. Vous l’avez quittée, vous nous avez quittés, nous laissant quelque part orphelins. Et tristes.

Le souvenir que je garde aujourd’hui de vous me renvoie vingt ans en arrière, quand nous nous retrouvions pour nos déjeuners rituels du samedi midi, au restaurant qui jouxtait notre officine, « Les Mouettes », où aimaient se retrouver les professeurs de la Catho. Votre sœur vous accompagnait, souriante, heureuse… et fière. Mon épouse et l’une de mes filles appréciaient non seulement nos échanges, mais aussi le privilège que nous offrait votre compagnie. 

J’aimais vérifier que l’approche du « Dieu pervers », votre best seller qui en est à sa nème édition, se superpose à ce que j’appelais « le dieu-outil », talisman, fétiche, papa-poule ou Père fouettard, qui vient sanctionner nos frasques ! Ce dieu trop fragile, on n’en a plus besoin. Il nous fallait rappeler que la lecture de l’Évangile nous invite à débarbouiller les mille et un visages de Dieu auxquels nous étions apprivoisés, et à découvrir le Dieu de Jésus-Christ.

Puisque vous n’avez pas attendu ma visite, Cher Maurice, qui m’aurait permis de vous confier la dette immense envers vous que je partageais avec l’un de vos « disciples », notre ami Robert de Montvalon, alors je viens de me procurer pour le relire « Le Dieu pervers » auprès de ma librairie.  

De vos trois doctorats vous avez exploité celui qui collait à votre mission : la psychanalyse. Pour aider, soutenir, recoller les morceaux de ces vies chaotiques ou chamboulées par le malheur, redessiner l’horizon pour les êtres qui se sont égarés, embarrassés par leur corps ou par leur esprit.

Vous acceptiez, Maurice, d’être désigné « explorateur de la foi ». Vous nous rappeliez notre devoir de sollicitude, nous donnant pour tache, comme le souligne Frédéric Boyer (La Croix du 12 avril 2018), « de ne pas craindre ce qui se défait, mais tenter, par le vide créé, de trouver un peu de liberté et d’espace pour faire un pas de plus ». 

La foi, nous disiez-vous, et là j’aimais votre propos que je partageais, osant parfois l’avouer, la foi est une embarrassante question qui nous retient de proférer péremptoirement des réponses à l’emporte-pièce définitives. La foi, nous en étions bien d’accord, commence par une auto-critique, évacuant toutes les scories trompeuses, s’appuyant sur une parole rapportée par l’Évangile, « une parole dont la fonction n’est pas de terrifier mais d’éveiller, délier, conforter, réjouir ». Toute parole d’amour, rappelle F. Boyer, est une parole qui ose dénoncer l’horreur du meurtre, de l’avilissement, de l’abandon.

Je reporte à l’été prochain, de relire dans le calme et à l’écart du vacarme mondain, « Le Dieu pervers ». Histoire de communier encore avec vous, de me laisser entrainer par votre pensée si vive, radicale, répondant aux sectarismes que génèrent  les revendications identitaires qui se développent dans cette société que vous avez toujours aimé diagnostiquer. 

Vous avez rejoint celui qui s’est manifesté à la fois comme l’absolument concret et l’absolument universel, qui « meut le soleil et les étoiles » (S. Weil), et qui vous a mis sur nos routes pour une mission si remplie que nous vous disons, Cher Maurice, notre affectueuse gratitude.

 

Gérard LEROY, le 4 mai 2018