Pour Alix et Emma que j’embrasse

   On s’explique mal le geste de Judas, pourtant condition intégrée au mystère de la mort de Jésus. « Il faut que le Fils de l’Homme soit livré » (Mt 20, 18). Il fallait donc bien que quelqu’un livre Jésus… et Jésus y consent. Qui va le livrer ? « Serait-ce moi, Rabbi ? » « Tu l’as dit », répond Jésus (Mt 26, 25). Judas est un homme sinistrement providentiel, non ?

Judas n’est pas le seul parmi les apôtres à côtoyer ou rejoindre les zélotes. Luc cite Simon le Zélote (Lc 6, Ac 1), Marc (3, 18) et Matthieu (10, 4) de même. On a estimé que Pierre pouvait lui aussi être rangé parmi les zélotes, comme son frère André. Les Fils de Zébédée, Bar Jona, sont des sicarius, des sicaires, autrement dit des tueurs à gage. L’épithète « Iscariote », déclinée du latin sicarius traduit le grec zelos, qui donne « zélé ».

La toute première génération chrétienne ignore les motifs du geste monstrueux de Judas. Jean (13, 27) décrit la Cène et le geste de Jésus leur distribuant du pain trempé et prescrivant à Judas de faire « ce qu’il avait à faire ». Avec la bouchée de pain qu’avale Judas « Satan entre en lui » dit saint Jean. Satan est un acteur essentiel de cet acte tragique.

En apparence, par delà la psychologie de Judas qu’on peut déceler dans la narration de Jean, c’est Jésus qui marque son initiative de prendre Satan de vitesse : « ma vie, avait dit Jésus, on le la ravit pas, je la donne de moi-même » (Jn 10, 17). Satan croyait dominer le Christ en entrant en Judas. Or c’est le Christ lui-même qui permet à Satan d’accomplir son œuvre en Judas, lequel va livrer Jésus et célébrer la victoire de la haine.

Mais ce mystère d’iniquité, qui assume l’accomplissement de l’œuvre divine du salut, déconcerte quand même Jésus (cf Jn 13, 21). Pourquoi faut-il en passer par là, que la vie naisse d’une telle mort et l’amour d’une telle haine, celle que Satan souffle au cœur de l’homme ?

Luc garde cette certitude que Satan est entré en Judas, alors que Marc tait l’origine démoniaque de cette démarche. En Matthieu ce geste horrible de Judas a des motivations aussi humaines que vulgaires. Matthieu relate, en 27, 3ss, le remords tardif de Judas, qui doutait peut-être que son geste entraînerait la condamnation à mort de son maître. Pensait-il faire une bonne affaire en extirpant quelques sous aux grands prêtres dont Matthieu stigmatise l’hypocrisie ? Car c’est eux qui viennent de livrer « le juste ».

Judas, pour de l’argent et par un baiser, a trahi son maître auquel il avait tant manifesté son attachement auparavant. Tout est sinistre dans ce drame, le baiser, la prétendue sollicitude des notables pour les étrangers, les bien-aimés de l’Éternel.

 

Gérard Leroy, le 13 mars 2021