Nous ne sommes pas équipés culturellement pour apprécier et comprendre spontanément le sens du jeûne, et donc encore moins portés à l’inscrire dans nos rites et l’appliquer. Notre culture moderne, qui nous conditionne à l’utilitarisme et à la jouissance, a abandonné le sens des actes gratuits. “À quoi ça sert ?” entend-on souvent, pour valider un acte dont on ne saisit pas le sens. D’où cela vient-il que les Occidentaux ne prisent guère le sens du jeûne, qu’ils abandonnent parce qu’ils ne le comprenne plus, tout comme ils ne comprennent plus les rites traditionnels qui rythmaient leurs vies et donnaient sens spirituel à leurs fêtes ?

Aussi la pratique musulmane du jeûne intrigue-t-elle  les Occidentaux.

Tentons d’éclaircir les choses en nous interrogeant sur l'origine, la signification et la portée du jeûne du Ramadan pour la communauté musulmane.

Avant l'institution du Ramadan

À l’âge de 40 ans tous les hommes de La Mekke font une halte dans leur vie. Ils se retirent trente jours, sur l’une des collines environnantes de la Ka’ba. Mahomet n’échappe pas à la coutume et se retire donc, comme tous les Mecquois quadragénaires, pour jeûner et faire pénitence.

Pendant ce mois, qui préfigure ce que sera le Ramadan, il est une nuit, qu’on appelle la Nuit du Destin, où tous les miracles sont possibles, à tout le monde, où toute chose extraordinaire peut arriver, où les astres peuvent se mettre à parler, où l’herbe peut s’entendre pousser. C’est la nuit de Kadir. Le malheur est que nul ne sait laquelle, parmi ces trente nuits, est la nuit de Kadir, où l'on voudrait être en éveil.

La première révélation

Mahomet veille, enroulé dans sa bourda, un vague manteau qui le préserve du froid. Soudain, une créature vêtue de blanc et enveloppée d’un nuage de lumière présente à Mahomet une pièce de soie. Sur la pièce de soie est écrit, en lettres d’or: “Ikra”. Mahomet ne sait pas lire. L’ange empoigne Mahomet et lui ordonne de lire. Mahomet proteste en disant qu’il ne sait pas lire. L’ange bouscule Mahomet, et lui ordonne encore: “Ikra”, “Récite”, “Lis”. Mahomet répète après l’ange: “Lis: au nom de ton Seigneur qui a créé!..” (96, 1); C’est la première sourate de la Révélation, dont le Coran dit un peu plus loin : "Nous avons fait descendre la Révélation pendant la nuit d'Al-Qadr”. (97)
[...] Durant celle-ci descendent les Anges ainsi que l'Esprit, par la permission de leur Seigneur pour tout ordre (97).

Le mois du Jeûne est le mois de ramadan dans lequel on a fait descendre la Révélation comme Direction pour les hommes (...), manifestation claire de la Direction et de la Loi. Quiconque verra de ses yeux la nouvelle lune, qu’il jeûne ce mois.”(2,185).

Le sens du jeûne en islam

L'objectif de tout musulman est de plaire à Dieu afin de gagner le Paradis. Plaire à Dieu, c'est lui obéir. Ce mois de Ramadân qui est une façon de remémorer la retraite de Mahomet, est perçu comme une bénédiction de Dieu. Tout musulman espère bénéficier de la bénédiction de la Nuit du Destin.

Le jeûne du Ramadan a une double portée.

a) C’est d’abord un acte social. La communauté prend conscience d’elle même, de son unité. Le sens de la communauté est renforcé par le fait que tout un peuple vit au même rythme. Le repas de rupture du jeûne, le soir, est une sorte de sacramentel de fraternité.

b) D’autre part il a une portée ascétique. Le mois de Ramadan est un mois consacré à Dieu, pendant lequel le croyant insiste sur la purification. C’est un mois d’activité ralentie et de recueillement. Le Prophète dit que le jeûne est un bouclier. Il protège en effet la personne du péché et des passions. Le jeûne le libère de la dépendance. C’est un moyen de délivrance de l’esprit humain des griffes du désir. Tout musulman tient à suivre la tradition du Prophète de l'Islam, modèle de piété pour tout être humain. Le jeûne conduit donc à la piété.

Règles du jeûne

Le jeûne du mois du Ramadan est un des cinq piliers de l’islam, avec la profession du Dieu unique, la prière cinq fois  par jour, l’aumône, et le pèlerinage.

Le Ramadan a été institué pour être le mois de jeûne, le 9ème de l’année lunaire. Il est obligatoire pour tout musulman, homme ou femme dès la puberté.

C’est un moment de prédilection pour rappeler aux riches la compassion généreuse qu’ils doivent exprimer aux pauvres. Jadis, les maisons étaient ouvertes, les tables offertes aux indigents. Les malades en sont dispensés, comme les femmes enceintes, celles qui allaitent, ou celles  qui ont leurs règles. Néanmoins ces personnes devront rattraper leur exonération du jeûne au cours de l’année, soit en offrant, pour chaque jour de manquement, les repas d’une journée à une personne indigente, ou bien en versant la valeur monétaire de ces repas à la personne indigente.

Le jeûne du Ramadan est observé chaque jour, à partir de l’aube, qui est signifié quand on peut distinguer le fil blanc du fil noir. Il cesse lorsque le soleil disparaît de l’horizon.

Remarques

Il arrive que soient comparés Carême et Ramadan. Sachons saisir toute la différence, sachons sortir d'une "compétition" et se recentrer sur le coeur de ces démarches. La ressemblance des deux démarches conduit sans doute quelques personnes à utiliser le vocabulaire chrétien qui leur est familier en parlant du "Carême des musulmans". A la vérité, cette confusion du vocabulaire n'est pas sans signification: petit à petit, la culture française devient le cadre où se vit l'Islam des musulmans de France et le langage dans lequel il s'exprime. Les pratiques ainsi désignées par le même mot n'en demeurent pas moins très différentes.

Les fêtes de l'Islam, à l'inverse des fêtes juives ou chrétiennes, n'ont pas pour but d'évoquer l'Histoire passée ou à venir. Le Ramadan n'est pas la préparation d'une fête, ni le souvenir d'un événement. C'est une pratique commandée par le Coran (2,183-187), pour se disposer à accueillir la Parole de Dieu.

Le mois de Ramadan est une occasion de plus grande ferveur : dans les oratoires et les mosquées, la prière se prolonge tard dans la nuit, des enseignements sont donnés aux fidèles. De ce point de vue, le Ramadan, comme le Carême chrétien, est un temps de "conversion" et de retour à la prière. Ce temps fort dure le temps d'un mois lunaire, soit 28 ou 29 jours.

Remarque sur la tentation de comparer Carême et Ramadan

Il est probable que ce soit le caractère austère de ce jeûne qui pousse certains à comparer Ramadan et Carême, vantant l'héroïsme de l'un ou la profondeur de l'autre... au risque de passer à côté de l'essentiel. Le principal n'est pas de viser des records de mortification et de pénitence.  

Le jeûne n'est pas un sport. Le jeûne n’est pas une compétition. Ni le Carême, ni le Ramadan, ne sont des plateaux de casting d’athlètes. Dieu n’attend pas des acrobates mais cherche des croyants. Il ne se laisse pas séduire par les efforts des hommes, mais Il se donne à leur faiblesse.

Pour l'Islam comme pour le Christianisme, le Jeûne doit rester un moyen d'accueillir le don, le pardon de Dieu, qui est déjà offert ! Comment forcerait-on une porte qui est toujours ouverte ?

 

Gérard LEROY, le 1er octobre 2008