À ma sœur Françoise

La culture européenne n’est pas innée. Elle s’allaite, comme toute culture, au sein de l’antérieur et de l’étranger. Qui l’a nourrie ? L’on sait que l’Europe tire son nom de la mythologie grecque puisque Europe était aimée de Zeus et lui donna trois fils. Comme réalité géopolitique l’Europe est née du déclin de l’Empire romain, au seuil du Ve siècle, coïncidant avec la naissance d’un grand territoire qu’on appelle l’Occident. Les parents de l’Europe sont certes d'Athènes, de Jérusalem, et de Rome. L’Europe est aussi fille de Bagdad.

C'est ce que nous a montré dans le détail Ghaleb Bencheikh lors d'une brillante conférence présentée, le 3 mai 2008, à l'invitation de la Maison des Potes de Narbonne, inaugurant la semaine de l'immigration.

Les Européens perçoivent la civilisation arabe comme un relais entre la civilisation gréco-romaine et la civilisation occidentale. Or, l'empire abbasside, qui va d l'an 750 à l'an 1258, était alors supérieur à tous les autres peuples, européens, dans toutes les disciplines relevant de l'art, des sciences, de la littérature.

La chute de cet empire a été ressentie par les musulmans comme un traumatisme synonyme de fin du monde. À y regarder d'un peu près, la période abbasside se présente comme une civilisation à part entière, et non comme un simple relais civilisationnel. C'est ce qu'a bien montré G. Bencheikh que nous rejoignons dans son analyse.

Ernest Renan, qui n’était pas un ignorant, proclamait la Grèce source unique du savoir et de la pensée. C’est oublier qu’il y eut cet empire, gigantesque, s’étalant de Samarkand à l’Est à Cordoue à l’Ouest, en avance sur tous les peuples européens et chrétiens, en botanique, en mathématiques, en philosophie, en médecine, en astronomie, et ceci de la moitié du VIIIe à la moitié du XIIIe siècle. Excusez du peu ! Cet empire abbasside, qui a succédé à l’empire omeyyade ayant établi sa capitale à Damas, avait choisi Bagdad pour capitale, en 762. Les arabes étaient alors le peuple le plus avancé du monde, Citons quelques exemples.

En mathématiques, la civilisation arabo-musulmane nous a légué le système décimal, emprunté aux Indiens, l’algèbre, la trigonométrie. Des manuels de calcul révélèrent à l’occident latin les chiffres arabes dont le zéro. En dépit de la répulsion de l’Église, qui assimilait le zéro à un instrument du Diable, les marchands européens l’ont adopté pour leurs échanges. La médecine se développa au XIIe siècle, grâce à de grandes figures parmi lesquelles surgit le médecin-philosophe Ibn Sina, autrement appelé Avicenne. On pratiquait alors la trachéotomie et on utilisait la sonde gastrique. En astronomie, ce sont les arabo-musulmans qui ont construit et perfectionné le fameux astrolabe, instrument de navigation qui permet de situer les astres du ciel à n’importe quel moment de l’année, de déterminer l’heure, de guider la navigation maritime. Rappelons que l’horoscope a été établi à partir des signes zodiacaux répartis sur l’astrolabe. Ce sont encore ces abbassides qui ont mesuré la Terre et projeté les premières cartographies.

Nous devons bien des inventions à cette civilisation. L’histoire des sciences occidentales a longtemps occulté ce que l’Occident doit à cette période.

Pendant 5 siècles Bagdad aura été la capitale intellectuelle du monde, avant de s’effondrer en 1258 sous les assauts des Mongols conduits par le petit-fils de Gengis Khan, qui mettront fin à la dynastie des Abbassides. Ces 5 siècles enregistrèrent un bouleversement social, économique, intellectuel qui a fait du monde arabo-musulman la plus brillante civilisation du Moyen-âge.
 

G. LEROY, le 20 mai 2008

nota : une intéressante étude de la science arabe au cours de cette période est présente par Colin Ronan, dans Histoire mondiale des sciences, éd. du Seuil, coll. Points, 1998, pp. 285-337.