Pour Paul-Serge Ponrouch, son équipe de choc, Camille, Véronique, Dominique, Anne-Françoise et tous les PUCistes

   De nombreux débats théoriques aujourd’hui nous offrent de comprendre le fait qu’à certains moments de leur carrière un grand nombre de philosophes s’ouvrent aux sciences sociales, se « reconvertissent » pour le dire comme Pierre Bourdieu dans le premier tome de sa Sociologie générale.

Ce mouvement de la philosophie vers les sciences sociales, a été marqué dans les années soixante à la faveur d’une conjoncture d’expansion. Dans les années soixante, en effet, on assiste à une deuxième naissance, une sorte de valorisation de la phase technocratico-scientiste, une avancée de la norme scientifique, une conquête progressive du positivisme. Comme conséquence, on voit apparaître un grand nombre de disciplines qui se qualifient par la terminaison « logie », pour faire de la grammaire (qui nous convenait) une « grammatologie », imitée par d’autres disciplines habillées de la sorte comme pour une soirée mondaine. Souvenons-nous de la simplicité des disciplines des années cinquante, plus modestes, se qualifiant d’ « approche », de « principe », de « fondement », de « structure et genèse », voire d’ « introduction ».

La philosophie, en ce temps-là, se présente ou est appréciée comme dominante par rapport à la sociologie, au vu des normes canoniques traditionnelles, délaissant l’importance d’un Max Weber et son apport incontestable sur les méthodes d’approfondissement de la connaissance des sociétés. La philosophie est alors à la théorie ce que la sociologie est à l’empirie. La philosophie se déploie sans matériel, ce qui lui confère la distinction, ou le mépris, que lui accordent ceux qui se plaisent à penser que 2 et 2 fassent 4 et qu’il est vain, oiseux, superflu, futile, d’aller chercher midi à quatorze heures. La philosophie est pure, pense-t-on. « Elle n’a pas de mains » disait Péguy qui, en parlant du kantisme dans son ouvrage sur Victor Hugo, disait que ce système avait « les mains pures ». 

L’approche implicite que la population a de la théorie est précisément que celle-ci s’établit, ou peut s’établir, sans matériel, sans données, sans statistiques. Bref, sans outils. En optant pour la philosophie on se déleste de tout un paquetage encombrant pour mieux disposer de la légèreté que la philosophie requiert afin de s’envoler vers les « hautes sphères » que les apprentis philosophes revendiquent comme un monopole.

L’histoire, comme discipline, rassemble aujourd’hui un nombre très élevé d’agrégés, parmi lesquels ceux qu’on retient selon un consensus minimal comme historiens, qu’on distingue de ceux qui ne le sont pas, tout comme on identifie les prétendants philosophes qui deviendront peut-être philosophes, les prétendus philosophes qui en resteront au degré prétentieux, et les philosophes eux-mêmes qui ont l’intelligence de ne pas s’afficher comme tels.

En revanche il y a très peu de consensus sur la définition de ce qu’est un sociologue. L’histoire, se penchant sur l’homme, se rapproche de la culture, alors que la sociologie, dont le regard porte sur le groupe humain en un lieu et à un moment donné de son histoire, m’apparaît du côté de la politique.

À l’inverse, si aux yeux de P. Bourdieu, le sociologue a plus de théorie que l’historien, le sociologue a plus d’empirie que le philosophe. Car il paraît impossible au sociologue de se passer de concepts. Comment définir les caractères définitionnels d’une société sans recours à un minimum de concepts ? 

L’approche du monde est complexe et trans-disciplinaire. Elle doit s'efforcer de tisser ensemble les idées venues de plusieurs domaines.

Sous l’impulsion de la reconnaissance de la complexité, à laquelle invite Edgar Morin, il s’agit d’opérer une révolution épistémologique et paradigmatique sur tous les champs auxquels nous participons « en tant qu’être humain, individu, personne, et citoyen ». 

Chaque individu, remarquait Paul Ricœur, dispose d’un double logiciel : celui de l’auto-affirmation égocentrique, qui le situe au centre de son monde, et le second qui l’intègre dans un groupe humain, là où il y a de l’autre (cf. JP Sartre). La complexité que l’on essaie de comprendre, implique la relation mutuelle entre soi et les autres, entre le tout et les parties.

 

Gérard LEROY, le 30 juin 2018