Pour Céline Berna, en hommage amical,

   L’idée courante de la résurrection est individualiste, parce qu’elle est liée à la perspective de la rétribution des bons et des méchants ; pour la même raison, elle se dédouble en vision dualiste de bonheur et d’horreur, de lumière et de ténèbre. Mais une vision globale et unifiée, celle du triomphe de l’amour et de la vie, s’offre à l’esprit quand la résurrection des morts est vue à l’intérieur de celle du Christ, et celle-ci à l’intérieur de la création dont elle est l’accomplissement. Dieu a mis toutes choses dans le corps du Christ étendu à l’Eglise, elle-même étendue à « la Plénitude de Celui qui remplit tout en tout », enseigne saint Paul (Eph. 1,23) ; « réconciliant toutes choses en lui », il a instauré en lui la paix sur terre et dans les cieux (Col. 1,20), alors « Dieu sera tout en tout » (1 Cor. 15,28) : Dieu Trinité étendra son existence relationnelle à toute créature en même temps qu’à tout l’univers enfin réconcilié avec lui-même.

Notre propre résurrection a commencé avec notre vie terrestre, pour s’achever quand le temps, libéré de la mort, entrera dans l’éternité d’un univers totalement humanisé. 

La mort n’est pas la fin de la présence au monde. Elle sera le passage de notre existence dans l’invisible du monde visible. Quiconque aura vécu dans l’unité de l’amour avec les autres et sera mort en paix avec le monde, ayant extirpé de son cœur toute violence, celui-là se retrouvera dans la Plénitude du Corps du Christ, qui a vocation à s’étendre à la totalité des hommes. Chacun sera associé au combat pour la vie que mène le Christ, entre sa première et sa définitive victoire sur la mort. Chacun, en d’autres termes, sera associé à l’œuvre créatrice que Dieu poursuit au cœur de l’univers et du temps, car « mon Père travaille jusqu’à présent », assure Jésus (Jn 5,17). Ainsi se réalisera, sous forme de service, la seigneurie sur le monde confiée à l’homme par le Créateur depuis la Genèse (Gn 1,28).

La résurrection à venir est donc l’invisible coopération entre morts et vivants que nous appelons “communion des saints” : les morts entrés dans la vie de Dieu, guident les vivants de la terre sur les chemins de la vie et les attirent à eux ; réciproquement, ceux qui auront vécu sur terre avec trop peu d’amour pour pouvoir vivre « au ciel » de la vie de Dieu seront aidés par leurs frères et sœurs du ciel et de la terre à reconquérir leur plénitude d’humanité. Ainsi s’accomplira la Justice rétributive à laquelle aspirent les hommes depuis l’origine. Chacun de ceux qui cultivent la relation à autrui, atteindra sa perfection dans la plénitude de ses échanges avec tous les autres, parce que chacun pourra participer à la présence de Dieu Trinité en toutes choses. Tel est le bonheur de la vision de Dieu promise.

La pure contingence, sur le plan de l’histoire, de la venue du Christ au monde et de sa mort sauve les fragiles libertés humaines de leur absorption dans le tout de l’univers ; elle confère à tout acte de pure gratuité la puissance de sauver le Tout : là est le sens de la résurrection.

 

Gérard LEROY, 21 janvier 2017