Pour Yasmina Rousseau, en prolongement de notre conversation, en hommage amical

   On a coutume d’opposer « les littéraires » et « les scientifiques », dans le but non avoué de dévaloriser l’autre pour mieux se valoriser. N’est-ce pas en effet sur un ton satisfait qu’on souligne le bac scientifique qu’on a réussi ?

Il convient de reconnaître que de nombreux « littéraires » ont été formés par un enseignement scientifique, qu’ils se nomment Condorcet, Bachelard, Leibniz, Comte, Schopenhauer, Popper ou autres Wittgenstein. De nombreux philosophes et théologiens disposent d’une formation scientifique qui a favorisé la logique rigoureuse qu’exige leur démarche.

La vocation de l’esprit scientifique tente de répondre à la question « comment ». Comment ça marche ? L’humain a en effet besoin d’explications qui légitiment la confiance. La science nous apporte des preuves (ce qui a tenté le concordisme). L’esprit scientifique observe, explore, trie, analyse, théorise et applique. Il a pour objet l’existence de l’humain. Ainsi l’homme peut-il profiter du progrès scientifique aussi bien dans les déplacements (l’avion est né il y a seulement 125 ans), la médecine, les communications, l’électroménager… Se rangent derrière la question « comment ça marche ? » les mécaniciens, les horlogers, les physiciens, les sociologues et tous ceux que les conditions contingentes de l’existence interrogent. Il reste que la science ne peut pas tout dire de l’homme.

La vocation littéraire se distingue en s’attachant à la question « pourquoi ». Elle s’oriente vers l’homme a-temporel, indépendant de celui qu’on observe ici et maintenant. Les esprits littéraires se retrouvent chez les psychologues, les anthropologues, les ethnologues, les philosophes etc. La vocation de l’esprit littéraire s’adresse à l’humain a-temporel, sans que le temps en modifie l’approche ontologique.

L’objectif du littéraire est d’aller au texte pour le comprendre, ce qui exige de le passer au crible de la critique textuelle. Celle-ci vise la vérité signifiante d’un texte a-temporel, comme une fable, un conte, un mythe… L’esprit littéraire approfondit l’intelligence d’un texte, qu’il soit de nature juridique, mythologique, biblique, pour en dégager l’herméneutique. Accéder à la vérité signifiante ne peut être envisagée du seul point de vue scientifique, ni être transmise sans le détour, sans le secours du mythe et du symbole. « Se comprendre devant un texte c’est recevoir de lui les conditions d’un soi autre que le moi qui vient à la lecture » (Paul Ricœur).

 

Gérard Leroy, le 24 mars 2023