Pour le P. Loïc Molina, fraternellement

   Commençons par nous pencher sur les conditionnements socio-culturels de la communauté chrétienne et la situation de l’Église prise aujourd’hui dans un tourbillon. Nous sommes entrés dans une zone tourmentée, comme le dirait tout pilote à l’approche d’un orage, faite d’insécurité, de contestations multiples, de défections, tout cela qui rend problématique l’audience des spiritualités de type traditionnel.  

On repère quelques grandes lignes de force des tendances spirituelles contemporaines, observant d’abord la difficulté qu’éprouvent certains à surmonter ce qu’ils considèrent comme une tension dialectique entre une existence chrétienne et l’existence laïque. Cette difficulté est d’autant ressentie que l’on vient d’un monde où le christianisme apparaissait comme chef d’orchestre de toutes les mutations.

La spiritualité contemporaine, plus adulte que celle d’hier, en est arrivée à « l’âge post-religieux de la foi » (1). Le chrétien prend conscience du bouleversement, en exprimant parfois sa détresse devant devant le décalage entre les expressions traditionnelles du Mystère chrétien et l’horizon culturel de l’homme moderne. Cette vision avait jadis, dans les années 1960, amené quelques protestants américains à prétendre que la culture moderne écartait toute référence à Dieu. Le christianisme était devenu irrelevant, disaient ces gens, dont l’un d’entre eux, Thomas Altizer, avait publié un ouvrage ayant pour titre : L’Évangile de l’athéisme chrétien. Un commentaire d’un numéro du Time’s Magazine de 1963 avait titré « God is deathed ».

Aujourd’hui, loin des dogmatismes, des triomphalismes et des synthèses séduisantes entre le christianisme et les idéologies modernes, le chrétien est à sa place quand il veille à ce que sa présence au monde se place sous le signe du Christ. Ce qui nous conduit à évoquer ce problème causé par les rapports du sacré et du profane. En bref, le processus de désacralisation du monde moderne, appelé par certains, est-il au service du vrai sacré de la foi ? Ou convient-il de contrarier ce mouvement en recréant des espaces de sacré pour enraciner la foi de l’homme moderne ? 

Avec optimisme on peut saluer le mouvement présent de désacralisation et en même temps de laïcisation au sens que sous-tend la Constitution de 1905, (j’écarte donc l’esprit laïque des années 20, d’inspiration rationaliste, qui s’oppose au précédent).

La laïcité nous libère du complexe mental et institutionnel de la chrétienté. Loin de l’ère constantinienne, loin du concile de Trente, loin de Vatican I, réjouissons-nous de la magnifique ouverture du concile Vatican II, manifestée par cette nouvelle chrétienté qui ne se préoccupe pas d’abord de christianiser sociologiquement les masses, mais de donner, ce qui se vérifie en permanence, un témoignage plus pur de l’Évangile dans le respect des autonomies propres du monde, en donnant le primat à la Parole de Dieu sur toutes les machines cultuelles, culturelles et institutionnelles.

 

Gerard Leroy, le 19 octobre 2019

(1) Expression de Paul Ricœur dans « La critique de la religion », Bulletin du Centre protestant d’études, juin 1964, 6.