Pour Jean-Louis de Souza, que j'ai longtemps admiré sur les rings, dont j'aime l'amitié

Longtemps on a exalté les valeurs morales du sport pour le justifier et l’encourager. Aujourd’hui, les conséquences liées aux enjeux du sport ont entraîné une réflexion sur sa pratique. Il s’agit moins de valoriser le sport que d’inscrire sa pratique à l’intérieur de règles précises en dehors desquelles le sportif s’exclut.

Pourquoi ?

Les enjeux ont donné au sport une nouvelle dimension. Les sportifs de haut niveau sont aujourd’hui le jouet d’un développement du culte de la personnalité sportive. Dans l’Empire romain les jeux ressemblaient à un culte idolâtre. On en vient aujourd’hui à ranger les héros des stade, intouchables et traqués, adulés ou conspués, avec les génies ou les dieux que la transcendance met à distance du destin du commun des simples mortels. N’a t-on pas couronné “l’Aigle des Montagnes” (1) auréolé “l’Ange vert” (2) ? La fascination qu’exercent les sportifs confine au sacré.

Dans leur quête légitime d’épanouissement, les sportifs sont menacés par ces déviations. A cela s’ajoutent les pressions qui s’exercent sur eux, allant de pair avec le vedettariat que leur fabrique la presse. Investis de missions impossibles, ils deviennent prisonniers des fictions dont on les veut héros. Le résultat d’un match n’est plus aléatoire. Il est dicté par l’impératif de la réussite !

Ces conditions déterminent le comportement sportif sur un stade. L’athlète, dit-on, est “contraint” à la faute. Le public l’en excuse parce qu’elle est commise —comme par devoir— dans l’intention “bonne” de prendre en toutes circonstances le meilleur sur l’adversaire. Ainsi la violence, jadis exceptionnelle, devient progressivement justifiée par les enjeux. La tentation grandissante de dominer l’autre, en usant de moyens qui ne respectent pas cet autre, n’est pas l’apanage des sports d’équipe. La perversité du sport est une menace universelle, entachant jusqu’à l’athlétisme, “noble” discipline olympique. Ce fut notoire aux jeux de Séoul où —scandale— celui qu’on croyait dieu se révéla démon ! Ben Johnson avait bafoué l’esprit du sport.

 Qu’est-ce qui peut préserver cet esprit?

Il faut remonter plusieurs décennies en arrière pour apercevoir les raisons d’une réflexion éthique sur la pratique sportive. Les témoins de la Coupe du Monde de football de 1954 se souviennent du sentiment d’injustice éprouvé au terme d’une finale dramatique où les excellents joueurs hongrois ne purent rien contre des adversaires que la violence et les forces décuplées avaient rendus suspects. Les sportifs ont eu, depuis lors, bien des occasions de se révolter contre la tricherie, le vol d'une place de podium, et des primes qui vont avec ! L’inégalité dont ils étaient victimes, ils la refusent au pretexte qu'elle est produite par des artifices aux effets malsains. Une réflexion éthique du sport procède donc d’abord du mécontentement. Celui d’une majorité de sportifs dénonçant une supériorité acquise par des moyens que cette majorité refuse.

Il a donc fallu accepter des règles —des règles du jeu— valables pour tous. Le principe qui les inspire ne doit produire ni contradiction ni absurdité si ces règles sont transformées en règles à suivre par tous les sportifs, dans toutes les circonstances selon lesquelles le sport peut être envisagé. Ces règles ont donc pour principe l’universalité de leurs applications. À partir de la situation qui les nécessite, les normes à établir résultent d’un choix simple : ou les artifices sont admis pour tous, et à chacun d’en user comme il l’entend, au mépris de sa santé, ou ils sont interdits à tous, au nom d'abord de la santé à préserver.

Le choix, fondamental, releva de l’ordre épistémologique. On accorda la prééminence à la santé de l’homme sur le résultat du jeu. Considérant que le dopage causait des dommages à la santé il fut banni.

La confrontation peut entraîner la violence, qui exprime la volonté de l’un d’exercer un pouvoir nécessitant l’écrasement d’un autre. À cette dissymétrie de base se greffent toutes les dérives de l’interaction entre les personnes: la violence, physique ou psychique, la tromperie, le meurtre. Aux multiples formes de la violence, répondent les interdictions de la morale: tu ne tueras pas, tu ne tricheras pas. Vivre avec les autres impose le respect de l’autre. S’appuyant sur l’antique Règle d’or : “Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’il te soit fait”, on décida la violence coupable.

Quiconque bafoue les règles, les ignore ou les contourne, se place alors hors-jeu.

C’est à l’intérieur de ces règles que s’exprime l’éthique du sport. Dans la perspective d’un épanouissement de soi, la maîtrise de soi intervient comme vecteur d’accomplissement du processus d’épanouissement. Mais cet épanouissement de soi implique l’autre que soi. Par définition le sport intègre l’autre.

Le sport est un chemin dont la direction est la transformation de l’homme. Le sport est un chemin vers l’homme. De ce point de vue, subordonnant l’éthique du sport au paradigme du respect de l’autre et de l’accomplissement de soi, la notion de fraternité surgit aussitôt. Le sport contribue à “tisser des liens fraternels entre les hommes de toutes conditions, de toutes nations de toutes races” (Gaudium et spes). Offrant la perspective de rencontres internationales, il fait partie intégrante du dialogue symbolique entre les cultures. Sous cet aspect, le sport se place au service de la paix.

 Le sport n’est plus aujourd’hui, heureusement, réservé à ceux-là seuls que la performance peut porter vers la gloire. Le rétablissement de la dimension ludique du sport sur le culte de la performance restitue à tous les sportifs le plaisir qu’ils attendent du sport. Le jeu est l’essentiel du sport. L’homme éprouve ce besoin de dépense physique ou mentale, sans finalité utile, et dont la seule raison d’être, pour la conscience de celui qui s’y livre, est le plaisir même qu’il y trouve. Chacun y trouve son compte, dans la mesure où il conserve et cultive pour lui-même la notion essentielle du sport : le jeu. La langue du jeu intègre forcément celle de la performance. Il n’y a de performance authentique qui ne se fonde sur le jeu.

 

Gérard LEROY, le 14 juin 2008

  • (1) Federico Bahamontès,
  • Champion d'Espagne, vainqueur du Tour de France en 1954, six fois Grand Prix du meilleur grimpeur entre 1954 et 1964
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  • (2) Dominique Rocheteau,
  • international français de football entre 1975 et 1986, Champion d'Europe, 4 fois Champion de France