du Fr. François Bustillo, La vocation du prêtre face aux crises, Ed. Nouvelle Cité

Cette recension devait paraître dans la feuille mensuelle de l'église Ste Croix (Le Pont), mais la publication, pour des raisons d'édition, ayant été reportée en avril, j'ai décidé de l'offrir en avant-première sur ce site.

On referme ce livre comme si l’on revenait d’une session-retraite. On écoute l’auteur, le Frère François Bustillo, plus qu’on ne le lit. Car le Frère François est avant tout un prêcheur, que ne désavouerait pas un dominicain.

Quand l’âme s’étouffe dans un bruineux et dégoulinant hiver, il est temps de s’en remettre au timonier, quitter les brumes pour mieux éclairer la foi. Chaque page de ce livre éveille pour qu’on la médite. Car François, qui ne s’adresse pas qu’aux prêtres à qui pourtant il destine l’ouvrage, a ce style particulier qui égrène ses aphorismes à la manière d’un Pascal. Il écrit comme d’autres font glisser l’archet, à ceci près qu’on écoute ici un Oratorio.

Sa griffe est concise. Jugez-en : « la science a déçu, la politique a trahi, l’économie est sans pitié, la vie relationnelle devient violente ; est-ce que la foi, les valeurs de l’Évangile n’ont plus rien à dire au monde ? » (p 115)

Le texte revêt à la fois le caractère d’une théologie fondamentale, et celui d’une philosophie du monde sécularisé, « où la sacralisation de la vie collective a remplacé la dé-sacralisation de l’Église » (p 134). Le franciscain regarde la société occidentale, individualiste, nihiliste, jouissant à semer la haine sur les réseaux sociaux. Alors, p 88, Frère François rejoint les apôtres réunis autour de Pierre après la Résurrection : « Et nous, que devons-nous faire ? (Ac 2, 27).

S’appuyant sur l’enseignement de l’Évangile et de l’Ancien Testament, du prophète Daniel à l’apôtre Paul, François nourrit le lecteur de la profonde intelligence de ses commentaires. La foi en Dieu, souligne-t-il, est moins de l’ordre du savoir que de la remise totale de soi à une personne vivante qui tient bon. Passer du savoir au croire : c’est le saut qualitatif auquel il invite (p 123). Transmettre un savoir et incarner l’Evangile vont de pair. Avec le Christ l’impossible savoir s’est changé en amour. Nous optons pour la liberté d’aimer ou de pardonner plutôt que d’user du droit dérisoire de régler nos comptes. Nous témoignons chaque fois que nous aidons tel ou tel à tenir debout.

François réserve tout un chapitre (5) à l’enseignement. L’éducation est en effet le germe de l’avenir. Si l’avenir est sur les genoux des dieux, selon Homère, il est surtout selon que nous l’aurons façonné. À ce propos, François dénonce le laxisme responsable de l’abandon de ces jeunes à qui rien n’a été transmis, ces déracinés qui manquent de repères. « Les gens ne savent plus où est le bien, où est l’essentiel. Le principe de plaisir étouffe les principes de réalité et d’idéal. » dit-il (p.119).

François convoque les prêtres dans la logique de l’existence humaine, laquelle ne saurait conclure à la nécessité de l’événement contingent de l’Incarnation ; il rappelle l’amour fraternel auquel nous convie Jésus, la réconciliation, l’accueil de l’étranger, le souci des plus démunis, la confiance dans leurs ressources.

Il attire l’attention : la conscience d’un statut, fut-il d’élu, fut-il de prêtre, a pu conduire au sectarisme et même au mépris des paumés. Le prêtre n’est pas un fonctionnaire de Dieu, dit-il (p. 33), ni une boîte de solutions (p 195) ; en revanche sa vocation est d’aider à s'épanouir celui qui le sollicite. Si le monde reste « à la superficie de l’existence et pratique le surf » sur les multiples sensations qui lui sont offertes, le prêtre, lui, « peut offrir des temps de plongée » où la vie en profondeur se révèle (p 74).

Ce monde est bouleversé, chamboulé, inquiet, blessé par une tuile dont on voudrait bien savoir de quel toit elle nous est dégringolée dessus. Le monde est une branloire pérenne, disait Montaigne. Nous éprouvons de surcroît le sentiment d’être déracinés, d’une culture, de ses valeurs morales et religieuses qui nous ont forgés. « Nous avons la possibilité de revoir nos fondations » (p. 21). Non en nous réfugiant douillettement dans un bonheur tranquille, mais en acceptant de prendre le risque d’être fidèle.

On voudrait avoir donné l’envie le lire ce livre important, pour ce qu’il procure grâce à une pensée vigoureuse en prise avec la société, en s’adressant aux prêtres, aux chrétiens, à un monde en mutation qu’un croyant ne peut négliger d’observer.

 

Gérard Leroy, le 26 février 2021

François Bustillo, La vocation du prêtre face aux crises, Ed. Nouvelle Cité, 2021.