Pour Pauline de Marmiesse, en hommage amical
Une dizaine de chrétiens jadis regroupés autour du P. Claude Geffré, se retrouvent régulièrement autour du P. dominicain Hervé Legrand pour réfléchir à leur vocation. L’un d’entre eux m’a transmis le rapport de leurs observations sur l’Église d’aujourd’hui, ses orientations et ses errements. Ils ont voulu répondre, en une cinquantaine de pages, au souhait du pape François, qui invite à proposer une transformation en vue d’une fidélité plus engagée au souffle de l’Esprit et d’un témoignage de l’Evangile dans le monde d’aujourd’hui. Parmi ces chrétiens on croise l’inspecteur général des finances, l’ancien directeur d’Antenne 2, l’ancien Directeur du FMI…
Ce rapport rappelle d’abord un premier principe : le ministère sacerdotal est défini par ce qui le fonde, une capacité exclusive à agir en la personne du Christ, notamment dans l’absolution et la célébration de l'Eucharistie. Le sacerdoce est conçu comme une marque indélébile. Deux mille ans se sont écoulés sans que jamais soit minimisée la nécessité du ministère sacerdotal. Ceci ne justifie pas qu’on perçoive le clergé comme une figure sacrale du prêtre garantissant sa sainteté. Les temps d’aujourd’hui font signe. Le prêtre d’aujourd’hui souffre de ce que son image se ternit. En réaction le cléricalisme tend à se renforcer. Ainsi voit-on des prêtres plus sensibles à la discipline, à la rigueur de l’habit clérical, l’éloignement des filles du service de l’autel, etc. On voit écartée la collaboration des fidèles dans l’organisation liturgique ou la gestion de la paroisse, et réapparaître certaines dévotions que Vatican II avait relativisées. Ceci en dépit de l’appel du concile à la collégialité, souhaitant une participation plus importante des baptisés dans la vie de leur Église, dans la vie quotidienne des paroisses et des diocèses. Tel est le but de la synodalité qu’avait présentée au PUC de Narbonne Mgr Patrick Valdrini.
Il est urgent pour l’Église et son peuple qu’elle se dé-cadenasse : qu’elle se déleste de ce cléricalisme encombrant ; que clercs et laïcs dialoguent et assument conjointement leurs responsabilités ; que cessent les freins conservateurs aux changements nécessaires ; que soient condamnés les maux commis par quelques prêtres. L'Église doit s'interroger sur ce qu’elle offrira aux prochaines générations.
Aujourd’hui « la parole de Dieu est morte », disait un écrivain chrétien mort récemment. » Morte ? Ou dans l’attente d’être reprise pour être portée par les chrétiens au monde ? Dans cette perspective il est urgent d’ouvrir à nouveau la question de l’accès des femmes aux ministères ordonnés. L’homélie du dimanche est aujourd'hui prononcée pour la satisfaction de tous par une femme dans quelques paroisses. Mais la misogynie de l’Église catholique perdure, malgré la place qu’y tient Marie. J’entends st Jean Chrysostome crier dans le désert : « Le prêtre n’eucharistie pas seul, mais le peuple avec lui ».
Or, l’église catholique tend à renforcer ses pratiques rituelles, un sens hiérarchique, un pouvoir sacré, masculin, évidemment. Il y a un fossé entre clercs et laïcs. Quant aux célébrations, une universitaire chrétienne me confiait qu'elle les percevait « comme une mascarade ». Le catholicisme, aujourd’hui, essore, vide les églises de leurs croyants dans la foi, et endort les enfants. « Croyez-vous que seuls les enfants dorment ? » me rétorquait récemment un évêque.
Les sensibilités culturelles des ouailles décrochent devant la sophistication des liturgies dont le P. Adrien Candiard pressent que le phénomène se rapproche du fanatisme. Ce n’est pas parce qu’on ânonne en fa # plutôt qu’en ré mineur qu’on changera les choses. Chantons la joie. Chantons l'espérance. À quoi ressemblent ces gestes théâtraux, cet amalgame de symboles mystérieux et ces salamalecs incantatoires ?
« Si l’on réduit la parole au culte, on risque l’ennui et la paresse » écrivait récemment le Frère François Bustillo (1). Les ouailles sont entrainées vers l’abandon de leurs tâches. Il est urgent que les chrétiens redécouvrent le sens de leur liberté responsable, d’hommes capables de pouvoirs qui s’exercent et s'épanouissent dans le milieu institutionnel. Le document (2) du groupe de chrétiens travaillant autour du P. Legrand, propose en conclusion de réaliser la conception moderne du corps-Église comme gouverné par un principe d’auto-organisation.
Le peuple de Dieu a besoin d’un relais à sa ferveur, plus que de bondieuseries.
Gérard Leroy, le 6 mars 2021
- François Bustillo, La vocation du prêtre face aux crises, Nouvelle Cité, 2021, p. 36
- Transformer l’Église catholique, Quelques propositions recueillies par Michel Camdessus, ancien membre du Conseil pontifical Justice et Paix