Jérusalem, carrefour des monothéismes

Pour Gabriel Setruk et Pierre Guigui, en hommage amical

   Les Judéens envoyés en exil cultivaient la nostalgie du retour. Convaincus par le prophète Ézéchiel, la diaspora accordait à la Jérusalem d’en-haut plus d’importance qu’à la Jérusalem d’en-bas, toujours fragile et exposée aux invasions meurtrières.

La Jérusalem terrestre préfigure la Jérusalem céleste, où Dieu sera tout en tous. Les pierres sacrées de la vieille ville renvoient à cette Jérusalem d’en-haut faite de pierres vivantes. Suite à sa destruction par les Mèdes, puis une seconde fois par le Romain Titus en l’an 70, Jérusalem a revêtu une importance symbolique décisive. Dans la symbolique du judaïsme Jérusalem est la Cité de Dieu, comme l’a vue saint Augustin, la Montagne sainte. Son Temple cimente la communauté juive.

Jérusalem sera toujours le symbole de la tension entre la cité terrestre, faite de main d’homme, et la cité céleste, qui vient d’en haut. Promesse de l’unité à venir de tous les enfants d’Abraham, elle est, aujourd’hui, au cœur d’une tension féconde entre l’Orient et l’Occident. En observant tous les regards des enfants d’Abraham se tourner vers la ville sainte, on peut parler d’un « œcuménisme pèlerin ».

C’est à Jérusalem que se situe le tombeau de Jésus de Nazareth, vide depuis sa Résurrection qui atteste l’irruption de l’inconditionné divin dans l’histoire. C’est là que naît la première communauté chrétienne. Jérusalem joue encore un rôle essentiel dans le symbolisme de l’islam. Au temps de la dynastie des Omeyyades, au VIIIe siècle, elle est la troisième des villes saintes, après La Mecque et Médine. Les califes Omeyyades y construiront le Dôme du Rocher, en 691, d’où l’on fait partir le voyage nocturne du Prophète qu’évoque la Sourate 17, et c’est là que sera construite, au début du VIIIe siècle, la Mosquée Al-Aqsa.

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Diversité et unité

Pour Ghaleb Bencheikh, en hommage amical

   Tous semblables et tous singuliers, donc distincts, différents les uns des autres, nous percevons différemment la pluralité de notre société humaine. Les uns l’apprécient comme une richesse ; d’autres comme une gêne, voire pire. Comment faire place, comment faire face à la diversité, à autant d'individus qui ne peuvent s’interpréter, se dire et s’estimer, exister sans se comparer les uns aux autres, sans exprimer l’irréductibilité de chacun, et donc se distinguer ? Comment toutes ces pièces de puzzle peuvent-elles être assemblées. Et cohabiter. Comment les hommes et les femmes peuvent d'autant plus se distinguer qu'ils prennent la place successivement les uns des autres, qu'ils empruntent les ornières dont ils héritent, et qu’ils doivent réinterpréter. El camino, lo hace el hombre, a caminar (Antonio Machado).

Au centre de la condition humaine, le langage ordinaire, d’où émerge la permanence du dialogue interrogatif de la question sur la finitude. Surgit alors celle de l'herméneutique, nécessaire pour signifier et interpréter la condition humaine, notre condition. Chaque génération éprouve à des degrés différents de conscience le besoin de s’interpréter, de ré-interpréter le monde auquel on se mêle, où l’on se découvre. Chaque génération est convoquée à reprendre la conversation rompue par l’irréparable.

Les contemporains mesurent avec passion leurs accords et leurs désaccords. L'herméneutique interrogative est exprimée par les générations successives qui ré-interprètent l’histoire, amorcent le dialogue (cf. Olivier Abel). Ainsi apparaît la nécessité d’une éthique de notre condition langagière qui fait naître une réflexion sur ce qui autorise et institue cette mutuelle différence. La réflexion éthique fonde alors les bases d'une philosophie du droit et de la civilité. Il s'agit de penser ensemble la ressemblance et la différence d'humains d'autant plus heureux de se distinguer qu'ils soulignent leur singularité pour s'effacer les uns devant les autres. Et l'interrogation n'ouvre la question de savoir « qui nous sommes » qu'en observant ce monde auquel nous appartenons.

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La vague de nouvelles religiosités

Pour Nicole Cathala, en hommage amical

   Le pluralisme religieux aura été le grand défi pour la théologie et pour la mission de l’Eglise au cours du XXe siècle, véhiculant de nouvelles religiosités qui se multiplient un peu partout, tant en Europe qu’aux Etats-Unis, tandis que les grandes religions du monde connaissent un regain de vitalité. Cette nouvelle conscience du pluralisme est en lien étroit avec le processus de mondialisation qui affecte toutes nos sociétés.

Grâce à un réseau de communication toujours plus performant, on assiste à l’émergence d’un super-marché du religieux qui propose à des consommateurs toujours plus nombreux les produits multiples des religions vivantes et des diverses traditions ésotériques en matière de mythes, de croyances, de pratiques, de secrets initiatiques, de techniques de guérison de l’âme et du corps. Cet engouement pour le religieux dans tous ses états coïncide avec le discrédit des idéologies et des utopies, voire du scientisme. L’inculture ambiante favorise un bricolage souvent étrange entre des croyances et des pratiques détachées de leurs lieux d’origine. Les croyances sont flottantes et leurs frontières deviennent si fluides qu’elles peuvent coexister et même fusionner sans égard pour leur hétérogénéité.

    Le pluralisme religieux apparaît toujours comme le grand défi pour la théologie et pour la mission de l’Eglise en ce XXIe siècle. Aussi s’impose la distinction des nouvelles religiosités qui se multiplient. Si la modernité reste marquée par la sécularisation, elle est paradoxalement placée sous le signe du retour à la question du sens. Il y a, comme inscrit au cœur de l’homme, une quête incoercible de sacré. C’est dans la tension de ce paradoxe que surgissent de nouveaux courants, ésotériques, plus ou moins sectaires. La « nébuleuse mystique ésotérique »(1) au sein de laquelle les croyances se mêlent aux techniques corporelles et aux psychothérapies, témoigne du déracinement de l'homme moderne qui cherche une certaine forme de salut individuel dans l'irrationnel et à travers la quête d'un sacré sauvage.

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