Pour Aymeric et pour Sapphô, en hommage amical
A-t-on perdu le souffle qui manque à la conversation ? Reste-t-il encore un espace pour instaurer un dialogue quand a sonné triomphalement le portable, que s’affichent des SMS expéditifs, tout cela qui constitue les prothèses indispensables à l’individu moderne.
Entendons-nous encore les chantres de l’ère de la communication ? Les influenceurs y croient, comme les publicistes et tous les Raminagrobis illusionnistes. Pour mieux vendre assurément.
Regardons autour de nous lorsque nous prenons place dans un restaurant d’autoroute. Chacun, qu’il soit seul ou en famille, se penche fébrilement sur son smartphone. Sans rien dire. Sinon au téléphone. Pensez-vous qu’il reste à l’adolescent de quoi s’entretenir avec ses parents ? Qui prend encore le temps d’interroger et de penser ?
On peut être frappé par les tensions inter-générationnelles actuelles, par le fossé creusé entre les « boomers » et la « génération Z » sur les questions de laïcité, d’environnement, de féminisme… La transmission doit reconnaître à la fois la rupture et la continuité.
Il nous faut édifier des ponts. Pour rétablir le dialogue il faudrait organiser des dîners de pont ! Où se rencontreraient des gens venant d’horizons divers. Sans bouder ceux qu’on a catalogués comme venant d’un autre monde, d’un autre clan, d’une autre classe… Peut-on entrer en dialogue sans se préoccuper d’une identité à préserver ?
La parole doit nous émanciper, sans tomber dans l’illusion de traduire notre ipséité, ce qui fait que « je suis moi » et pas un autre. Gardons-nous de réduire notre identité à une origine (« je suis Breton »), en un temps (« moi, j’vais vous dire, je suis né pendant la guerre… »). Elle est non seulement composite, mais en devenir. « L’homme est cet être pour lequel, au-dedans de lui-même, il y va de son être même » (M. Heidegger). Les gens obsédés par leurs frontières hermétiques, « les imbéciles heureux qui sont nés quelque part » (Brassens), leur quartier, leur pays, leur religion, en viennent à nourrir parfois des projets politiques identitaires toxiques.
La société, la nôtre, est prise d’une obsession de pureté, qui voudrait, pour les uns, se débarrasser des autres, des flics, des américains, des arabes, des juifs, des homosexuels, jeter aux ordures les financiers (« Pour moi, l’ennemi c’est la finance »). On développe une haine de l’autre qu’on accuse de tous les maux… Pour se débarrasser des siens ? Les luttes se rejoignent quand elles combattent le racisme et l’antisémitisme.
Doit-on admettre, s’adapter, ou souffrir du primat de l’identitaire sur l’universel ?
Cet entre-soi identitaire, hélas, s’érige comme une fin en soi, qui isole, a contrario de l’être social que nous sommes, ou que nous avons à être, sans craindre de perdre notre propre identité au sein d’une société multicolore.
Gérard Leroy, le 11 juillet 2025