Extrait de l’homélie qu’il a prononcée à Prouilhe le 23 juin 1996,
« Frères et Sœurs en saint Dominique,
(…) L’ordre dominicain, frères et sœurs, est né au cours d’une guerre, au cœur de ruptures —l’hérésie cathare, dans un lieu de fracture — entre le nord et le sud de la France, et au cours d'une croisade. Dominique a l’intuition de sa fondation et reçoit l’appel de Dieu dans un monde déchiré. Ce monde est d’ailleurs en mutation profonde. L’Europe passe de la féodalité aux communes, de la campagne aux villes. L’Église qui avait calqué ses institutions sur l’Empire puis sur la société féodale, est elle-même secouée par des mouvements de renouveau évangélique, simplicité, pauvreté, fraternité.
Le monde musulman est déjà là. Il encercle l’Europe par le sud, de l’Orient à l’Andalousie, et la pression religieuse, économique, politique, culturelle, intellectuelle qu’il exerce sur l’Europe est très forte. Croisades en Terre Sainte, Reconquista en Espagne, sont en cours pour tenter de desserrer l’étau. Décidément, contrairement à l’image reçue d’un Moyen-âge un peu stagnant, des siècles obscurs, il se passe beaucoup de choses en ces siècles-là.
Et dans ce contexte somme toute assez actuel, Dominique est d’abord un homme de miséricorde et de compassion. Miséricordieux, il est touché par les malheurs des temps. Le peuple est livré à la rapacité des seigneurs de la guerre et d’un clergé souvent corrompu ; il est aussi la proie facile des marchands d’illusion. Dominique, compatissant, partage réellement la souffrance et le malheur des autres. Il a une grande vénération pour la Croix. Il y voit l’amour de Dieu planté en terre, cœur et bras ouverts pour attirer l’humanité dans le sein de la miséricorde. Il y voit le sang versé par l’Agneau pour rétablir le pécheur dans la justice, dans la juste relation avec Dieu, avec les autres. Il y voit la souffrance de l’Innocent injustement condamné et abandonné, dont Dieu reste proche, au point de faire un avec lui. Dominique est souvent représenté en méditation devant la Croix, au pied de la Croix, debout, assis, incliné, agenouillé, prosterné, mains levées, mains jointes. À la source de sa vocation, à la source de la nôtre, il y a miséricorde, sollicitude, mais aussi la folie de Dieu plus sage que les hommes : un Messie crucifié, puissance de Dieu, sagesse de Dieu.
Depuis le début du drame Algérien, on m’a souvent demandé : « Que faites-vous là-bas ? Pourquoi est-ce que vous restez ? Secouez donc la poussière de vos sandales ! Rentrez chez vous ! »