À tous ceux qui s’interrogent…
Les campagnes politiques qui s’annoncent reprendront, c’est probable, les accents tonitruants que les harangues populistes croissantes savent exploiter, croyant pouvoir exciter l’espérance des faibles à leur avantage.
La vie politique française, comme celle des voisins, s’est complexifiée. Il était jadis plus aisé qu’aujourd’hui de se définir « de droite », légitimiste, ou bien orléaniste ou encore bonapartiste. La Ve République, sans qu’on puisse l’en accuser, a vu se réveiller d’autres droites aujourd’hui, nationalistes, xénophobes, populistes, affectant, à l’instar de l'adversaire, les mêmes envolées lyriques, les petites phrases cyniques, révolutionnaires plutôt que réformistes, éruptives, nourries des commentaires médiatiques de sans-culottes vindicatifs.
Vers qui ou vers quoi allons-nous pencher ? Vers le mercantilisme colbertiste, ou bien la réduction de la dépense publique ? Briguera-t-on la privatisation ? Aspirera-t-on à la réduction du pouvoir des syndicats ? Se voudra-t-on girondin plutôt que jacobin ? Ou bien social-démocrate, attentif à l’éducation et à la justice sociale ? Par quelle longue vue est-on prêt à regarder le monde ? En épousant l’attrait de Michelet pour les Lumières, ou bien celui du libéralisme d’un Tocqueville ?
Chacun, dans la perspective d’affirmer son identité, s’en va pencher, puis s’agripper, jusqu’à s’identifier, au bord qui lui sied. Et qui, de fait, s’oppose au bord d’en face.
À observer ces deux rives, l’une apparaît comme occupée par ceux qui considèrent la liberté comme l’indispensable moteur de la société, l’autre par ceux qui donnent le primat à l’altérité à partir de laquelle ils élaborent une éthique basée sur la justice. Y a-t-il jamais eu formulée, dans un camp comme dans l’autre, la question d’une complémentarité synergique des deux rives ?
Pour ma part, je suis partisan d’une gestion politique débarrassée de cet antagonisme délétère. L’exercice politique ne doit être ni une soif de pouvoir, ni une manipulation de ceux qui le contestent ou l’approuvent, ni une science indifférente du gouvernement des hommes, ni un art de l’utilité, de l’artifice et de l’intrigue, ni une course effrénée après la rentabilité. En se prémunissant contre ces dérives on s’approche assurément du devoir politique responsable.
Telle que je m’efforce de la comprendre et de l’invoquer, la politique est avant-tout une éthique. Elle est l’art de penser l’homme comme co-partenaire d’un monde qui ne se fera pas sans lui, jamais sans son désir, sans ses espérances et ses intérêts. La politique est l’art de résoudre, à tout le moins apaiser, les conflits, de trancher parfois entre le mal et le pire. Elle dispose des sciences appropriées, subordonnées aux impératifs éthiques fondés sur les libertés et les devoirs subordonnés à la vie en société.
Le travail politique a une mission, celle d’humanisation potentielle. La liberté exercée isolément menace celle de l’autre et, dans la mesure où notre logiciel égocentrique domine, elle menace l’égalité et corrompt la fraternité ; en revanche, l’égalité imposée, « institutionnalisée », paralyse la liberté sans réévaluer la fraternité ; seule la fraternité peut contribuer à la liberté et à l’égalité.
La politique est une manière de chercher, d’acquérir et de cultiver un sens de l’humain, une des manières de servir ce sens.
La politique est une éthique agissante, comme service d’autrui, du lointain comme du prochain, de la vérité.
Dans ce monde que nous partageons aujourd’hui, cette voie peut sembler surannée, éloignée des chemins battus qui pourtant sont la cause de nos gémissements. Ce n’est pas le chemin qui est impossible, mais l’impossible qui est le chemin. À hauteur de l’humain.
Vaclav Havel pensait-il autrement ?
Gérard LEROY, le 8 octobre 2018