Pour Bruno, en hommage affectueux

   La question est ouverte par le débat que je perçois confus et passionnel autour de l’euthanasie, sur le geste, que d'aucuns voudraient légitimer, tandis que d'autres appellent à suspendre les poursuites judiciaires d'un acte justifié par la compassion pour un sujet dont l'état est désespéré. La réflexion exige la distinction nécessaire entre morale et éthique, dans la perspective d'en tirer avantage, avant de déboucher sur la nécessaire réciprocité dans la relation entre droit (morale) et conscience individuelle (éthique).

Commençons par séparer la région de la loi (ou de la norme), du dynamisme ou du sens qui anime le procès de l’humanisation à l'œuvre dans l’agir humain. Que l'on se situe dans la perspective de Paul Ricœur qui définit l’éthique comme la visée d'une vie bonne, avec et pour autrui, dans des institutions justes, ou que l’on adopte la perspective lévinassienne de la responsabilité originaire qui s’identifie avec la relation au Visage d’autrui en sa hauteur et son humilité, dans les deux cas il nous faut passer par l‘épreuve de la norme et de ses déterminations objectives.

La visée éthique est en permanence sous le regard de la norme. Si libre qu'on soit d'agir en vue d'un bien on tient en effet cette liberté du droit qui nous l'autorise, lequel droit trouve son fondement dans le souhait de vivre bien, avec et pour les autres, ce qui implique que la visée du vivre bien enveloppe de quelque manière le sens de la justice, i.e. la notion même de l'autre. L’éthique —ainsi que l'a montré Paul Ricœur—, se pose donc en amont de la morale, mais aussi en aval en restant sous la surveillance de la norme qui préserve des dérives que la visée éthique, au principe de la norme, veut éviter en vue de la vie bonne. La norme tend vers l’universalité de son application (Kant). L’éthique comme dynamique individuelle, est confrontée à des phénomènes inédits qui sollicitent la visée dynamique individuelle sous le signe d'actions estimées bonnes.

Aujourd’hui, le regard éthique n’est plus porté à partir d’un argument ontologique, qui déboucherait sur un concept générant des valeurs, lesquelles dicteraient la conduite à tenir, mais à partir d’une situation contingente, à laquelle on est confronté et qui fait penser, indépendamment d’un cahier de procédures. On n’est pas dans un garage !

Ainsi l'éthique clinique est-elle à comprendre comme éthique en situation concrète. Devant un nourrisson on ne déduit pas notre comportement d’une approche définitionnelle de l’enfant. Un enfant dans une réa ce n’est pas un enfant, c’est « cet enfant-là ».

Dans les deux cas des approches, Ricœurienne et Lévinassienne, quelque chose d’originaire s’annonce, que ce soit l'infinité qui se profile dans la proximité de l'autre homme ou dans l'attestation ontologique du soi qui donne sens et doit donner sens en définitive à l'agir humain. C’est ce surplus originaire selon Lévinas qui constitue l’éthique. Les déterminations normatives, si bonnes soient-elles, sont toujours à distance de la visée éthique, de l’infinité qui s’atteste dans le Visage de l’Autre.

La permanence de la question éthique émerge dans les questions qu’elle contient. Celles-ci inspirent et animent les réponses à donner dans le cas concret des situations nouvelles, inédites. Elles ne donnent pas des solutions toutes faites, mais orientent vers le geste plus ou moins adéquat. Ce serait une erreur de réduire la dialectique à l’opposition du mal et du bien, au lieu d’observer le mal et d’éviter le pire. Aussi fait-on appel à la raison pratique, à la responsabilité et… à ses tâtonnements.

En sa spécificité chrétienne, l’intervention éthique renvoie à une transcendance, qui a le nom que nous tenons de la Révélation. C’est à une créativité ouverte par la Pâque du Christ  que les chrétiens son appelés, en partenariat avec ceux qui ne partagent pas leur foi.

 

Gérard Leroy, le 5 juillet 2024