Pour Dominique Leviel, et Alain Fourniol, en hommage amical
On dirait qu’à prononcer le seul mot de laïcité on se réfugie derrière un paravent apaisant nos angoisses. D’autres perçoivent la laïcité comme une manière de vivre en société d’un groupe humain (1). De surcroît cette panacée s’accomplit en vue d’exorciser de manière infaillible la barbarie congénitale aux religions.
Aujourd’hui s’agitent ceux qui plantent l’épouvantail de l’islam radical. Manière encore, fourbe, de stigmatiser « le conservatisme-réactionnaire catholique », de mépriser jusqu’à les rejeter les valeurs a-temporelles, comme la justice, la liberté, la fraternité, et… la laïcité. Le christianisme patrimonial passe pour une vieille lune, une maladie infantile, une curiosité d’un passé révolu. Cette posture risque d’encourager une idéologie et une récupération intégristes de l’héritage, inextricable, qu’on le veuille ou non, de notre histoire et de notre culture.
L’on ne peut que se féliciter de la clarification que garantit la laïcité originelle, émise par le maître d’œuvre de la Loi de 1905, Aristide Briand. La laïcité intelligemment comprise doit retourner sans cesse elle-même à l’école et concevoir qu’elle n’est pas absolument souveraine. Religieuse dans ses origines (le laos est le peuple de Dieu) —elle connote en effet le religieux dans son concept même— elle ne saurait donc s’ériger en parti pris contre le phénomène culturel qu’est le phénomène religieux.
Il reste que les incultes ou irréfléchis s’égarent en reléguant l’expression religieuse dans le domaine privé. Un extrémiste politique, sot irréfléchi en l’occurence, a proclamé : « Il faut distinguer le croyant de la croyance, c’est évident ! ». C’est toujours « évident » quand on n’a pas d’arguments. Or, la religion qu’expriment les croyants n’instaure pas seulement un lien subjectif avec une instance transcendante, mais un lien social avec l’humanité saisie tout entière dans la communauté de son destin.
La laïcité ne doit pas signifier une marginalisation des croyants, lesquels, s’ils sont fidèles à leur vocation, doivent pouvoir témoigner de leurs propres ressources, ainsi que de leur vision de l’homme et de la société. Pour quelle raison en viendrait-on à écarter les croyants du débat public ? Un rugbyman devrait-il s’abstenir de donner son avis sur un sport qui n’est pas le sien ?
Cette réduction n’est rien d’autre que stupide.
Il n’y a pas de raison pour que les contributions religieuses aux questions morales complexes, comme l’anonymat cybernétique, le rapport de la justice à la liberté, l’avortement, la fin de vie, l’éthique, l’éducation ou les interventions prénatales dans le génotype etc se voient privées, par un principe sans fondement, de se mêler à la vie démocratique.
La vie religieuse de l’homme demande, par sa nature même, à s’épanouir en public. La laïcité n’annule pas l’ordre du religieux au profit de l’ordre du séculier érigé en absolu. En revanche elle doit reconnaître la consistance et la légitimité propres des deux ordres.
La laïcité ne peut écarter paresseusement le devoir de prendre en considération la vie religieuse, indissolublement personnelle et communautaire. Ce qui a pour effet pour les croyants de revendiquer le respect, bien plus que la tolérance qu’on plaque comme une vertu aux actes et aux gens. Ses limites se situent à l’aune des critères de l’intolérable. La tolérance est une vertu si elle ouvre à l’autre. Elle est une contrainte quand elle traduit la dépendance. Elle est coupable de faiblesse si elle consiste à étendre le champ de liberté d’autrui aux dépends de sa propre liberté.
La laïcité française apparaît encore trop comme un dogme jaloux, une religion acariâtre, un drapeau miteux, un catalyseur névrotique et pathologique de l’identité nationale.
Le mal français n’est pas une simple allergie : c’est la canonisation d’une opinion réfractaire à toute transcendance.
Gérard Leroy, le 22 novembre 2024
(1) Saint Jérôme, Guillaume d’Ockham… ou plus récemment Jacques Delors