Pour Philippe Clémençot, en hommage amical
L’engagement des laïcs en théologie s’inscrit dans la perspective d’une Église missionnaire, qui va au monde, et n’attend pas que des stratégies de séduction hasardeuses attirent un monde réfractaire à tout ce qui touche à la transcendance, même révélée.
Les résistances à l’engagement théologien laïc sont symptomatiques d’une certaine sclérose de l’institution ecclésiale et d’un oubli de son identité missionnaire. La participation des laïcs, aux côtés des clercs manifeste l’égale dignité des baptisés. Elle est une manière d’être « disciple missionnaire », selon l’heureuse expression du pape François.
La mission d’enseignement dans l’Église se rapproche de la participation à la fonction prophétique du Christ. Vatican II a ré-amorcé la participation des laïcs à une telle fonction. Une écoute de cet « instinct de la foi » résulte de la connaissance d’une relation personnelle avec Dieu. Elle réclame d’être « au milieu » de tout le monde. Le pape François parle du théologien comme d’un « enfant du peuple ».
La contribution des théologiens laïcs est, à cet égard, décisive en raison de leur insertion dans le monde au travers de leur vie professionnelle, de leurs engagements sociaux et associatifs. La participation des laïcs théologiens est de ce fait appelée à être « non cléricale », de façon à « faire pénétrer l’expérience vécue » dans sa diversité. Les laïcs théologiens sont appelés à partager la vie de leurs contemporains, leurs inquiétudes, leurs joies, leurs aspirations. La prégnance d’engagements ecclésiaux ne peut servir de prétexte à un abandon des responsabilités sociales.
Cela suppose de partager les réalités, d’avoir expérimenté parfois le manque du nécessaire et de faire des personnes pauvres et vulnérables d’authentiques partenaires de dialogue et de vie, loin de toute instrumentalisation et de toute position de surplomb. Les laïcs théologiens sont convoqués à dénoncer les injustices, le mal dont ils sont témoins et dont ils sont eux aussi menacés.
Si les études sont particulièrement longues, les débouchés limités conduisent à un déficit de théologiens laïcs issus de milieux plus modestes. Il en résulte un élitisme social de la théologie française et un éloignement des réalités concrètes de la vie et des injustices vécues par les plus humbles. Le phénomène est à corriger, de manière courageuse, afin que la théologie soit effectivement représentative et diverse, et témoigne d’une authentique proximité avec le monde des gens. Il y a là un enjeu crucial de témoignage de la bonne nouvelle à mettre en œuvre dans la société comme dans l’Église elle-même. Là se joue la crédibilité du message évangélique. Il reste encore à noter que l’engagement en théologie repose sur des aptitudes propres à ces études, à leur enseignement ainsi qu’à la recherche.
L’expérience d’enseignement et de recherche est peu valorisée et les passerelles entre disciplines insuffisantes. L’État français est le seul avec la Tchécoslovaquie, à ne pas reconnaitre les diplômes en théologie. Tout cela ne va pas dans le sens d’une harmonisation des standards scientifiques avec les disciplines universitaires profanes, qui favoriseraient le dialogue de la théologie avec les autres sciences et permettraient à la théologie française de rayonner davantage.
La « prise en compte » des théologiens laïcs est à comprendre dans la perspective de l’égale dignité des laïcs, avec celle des clercs et religieux. Négliger ces questions conduit à dénier la dignité acquise dans un travail rémunéré, à occulter les exigences de justice sociale et, ultimement, à refuser de reconnaître aux laïcs leur « identité professionnelle ». Cela invite aussi à considérer davantage les laïcs au service de l’Église sous un angle professionnel, et non plus sous celui du bedeau de service inadéquat s’agissant de l’engagement en théologie qui exige un authentique dévouement à la communauté.
Gérard Leroy, le 24 février 2023