Pour Bruno, avec mon affection

   Le véritable enjeu théologique d’une lecture fondamentaliste de l’Ecriture, c’est la méconnaissance de la nécessaire approche herméneutique qui est engagée dans toute lecture d’un texte, qu’il soit inspiré ou non. La lecture la plus objective d’un texte peut toujours susciter une pluralité d’interprétations. Le fondamentalisme, qu’il soit protestant ou catholique, est caractérisé par un refus de l’herméneutique. Sous prétexte qu’il est révélation de Dieu, un texte inspiré, aussi obscur soit-il, doit être porteur d’un sens, directement accessible. L’idée qu’un texte de l’Ecriture ne prenne son sens qu’à la lumière de l’ensemble des Ecritures, et qu’il relève de plusieurs lectures, n’effleure pas le tenant d’une lecture fondamentaliste. Accepter de reconnaître que l’on ne peut croire qu’en interprétant, c’est-à-dire en vertu d’une naïveté seconde qui est passée par l’épreuve de la critique, c’est déjà tomber dans le scepticisme.

Interroger les récits bibliques pour les passer au crible de la critique textuelle, herméneutique, permet d’accéder à une vérité signifiante plus importante que le support historique. En passant par la démythologisation des mythes bibliques (cf.  la construction de la Tour de Babel en Gn 11) on découvre que la signification de la vérité reste impossible à dire d’un simple point de vue scientifique ou philosophique, impossible à transmettre « sans le secours, le détour du symbole et du mythe » (Paul Ricœur).

    Le mythe est donc nécessaire. Et la démythologisation de même,  pour la purification de la foi, ramenée à son noyau essentiel, par la dure ascèse des conclusions du savoir scientifique.

Et pourtant, dans les trois religions monothéistes que l’on peut désigner comme des religions scripturaires, on observe une tension inévitable entre l’Ecriture (le Livre sacré) et la Parole absente de Dieu. Le livre sacré, aussi saint soit-il, est un livre humain écrit en hébreu, en grec ou en arabe. Dans le cas du christianisme, on doit dire que l’interprétation coïncide avec l’acte de naissance de la nouvelle voie des disciples de Jésus. Le corps scripturaire qui deviendra le Nouveau Testament n’est lui-même que la mise par écrit des témoignages divers suscités par l’événement Jésus-Christ. C’est pourquoi les théologiens chrétiens n’acceptent pas volontiers de parler du christianisme comme d’une « religion du livre ». Il est sûr, en tout cas, que, par comparaison avec l’islam, l’équivalent du Coran ce n’est pas la Bible chrétienne, mais Jésus-Christ lui-même comme Parole de Dieu. Et, par ailleurs, les textes fondateurs du christianisme ne renvoient pas seulement à une communauté interprétante — comme c’est le cas pour le judaïsme et pour l’islam —, mais à cet autre pôle absent, et pourtant présent : à savoir, le Christ ressuscité, qui coïncide avec tous les moments de l’Histoire et qui permet que les écritures fondatrices deviennent « Esprit et vie ».

 

Gérard Leroy, le 23 juillet 2020