Pour Véronique Schurr, en hommage amical
Un « synodos » est un chemin partagé avec d’autres. Un voyage présuppose un but. La tradition ascétique se montre cinglante envers les pèlerins qui tournent en rond. Saint Luc rapporte que l’Église des temps apostoliques était appelée « la Voie » (Ac 9,2). Christ lui-même s’est déclaré « la Voie » (Jn 14,6). Son objectif est clair : « Père, je désire que ceux que tu m’as donnés soient avec moi là où je suis, pour voir ma gloire » (Jn 17,24). Être avec le Fils bien-aimé du Père, être Image de Dieu (Col 1,15), maintenant et pour toujours, est la vocation du genre humain dès l’origine.
La synodalité est appelée à s’enraciner dans le service de la communion, à l’image du Christ qui donne sa vie pour tous. La gouvernance dans l’Église est alors un appel à faire grandir cette communion. La vocation diaconale, profondément liée au service, est cruciale pour éviter le cléricalisme (cf A. Candiard). Enfin, c’est dans l’Eucharistie, source de notre participation à la vie divine, que la vie chrétienne est tournée vers le salut et le bien commun.
Certains gémissements se sont exprimé, à bon droit, à propos des femmes, de la parole des jeunes, de l’intégration des religieux, etc. Le Christ nous souffle une réponse : « Le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude » (Mt 20,25-28).
Nous sommes ainsi invités à nous pencher sur la conscience de la communion. Dans l’altérité.
« Faisons l’homme à notre image » (Gn 1,27). La vocation de l’homme est appelée à traduire cette image. L’être humain est créé de l’intérieur de la communion trinitaire pour faire grandir la communion entre tous et avec toute la création. L’altérité est fondatrice de la communion. L’autre est pour moi le reflet de Celui qui est à l’origine de toutes choses et de qui je reçois la vie. L’altérité est chemin d’accès à qui je suis. C’est en étant au service de la vie de l’autre, de la vie donnée par Dieu que la communion peut s’établir et que l’être humain accède à qui il est.
C’est le péché qui introduit un abîme dans le rapport à Dieu, à soi et à l’autre. Le péché, est défini par Thomas d’Aquin comme manquement d’amour et de justice. Il s’exprime dans l’individualisme, la convoitise et la concupiscence. L’alliance de Dieu consistera à offrir à l’homme un chemin pour redécouvrir ce pour quoi il est fait. Le sabbat est privilégié pour cette redécouverte. Contempler le repos de Dieu dans la création, s’associer à ce repos du septième jour, « c’est découvrir le décret d’une sagesse sabbatique , au-delà des vertiges d’une activité démiurgique, le prix de la non-action, du silence, de la louange, et de l’émerveillement devant sa création » (1).
L’homme est appelé à communiquer la Vie du Christ. « Il n’y a pas de christianisme en dehors du témoignage rendu personnellement à la Personne de Jésus-Christ »(2). La conscience chrétienne consiste à servir le salut de l’autre. « Je » contemple le fait que le Christ a donné sa vie pour « lui », l’autre. Ainsi comprend-on notre participation à la vie de l’Église. Il s’agit d’une participation eucharistique. L’eucharistie de Jésus nous resitue les uns vis-à-vis des autres dans un esprit de service, selon les charismes de chacun.
Cet esprit de service se vit en étant au service de l’intégration des membres les plus vulnérables de la communauté. Il s’agit de s’abaisser pour écouter plus profondément et se laisser informer par la voix de Dieu. C’est en ce sens que les prostituées et les publicains peuvent nous précéder. Leur conversion éduque notre conscience à ce salut.
Si les facultés humaines sont abîmées, c’est à l’Esprit saint que revient de permettre à la personne de vivre au cœur de son existence le choix de Dieu. Nous ne pouvons pas empêcher Dieu de parler à notre temps, à travers des personnes simples et aussi à travers des signes qui dénoncent l'insuffisance des cultures qui nous dominent, masquées par le rationalisme et le positivisme.
Joseph Ratzinger évoquait une renaissance de l’Église à partir de petites communautés dont la vie eucharistique découle du service des pauvres. S’il faut repenser la gouvernance, c’est à partir de ce service de la vie des affaiblis qu’on retrouve le charisme apostolique du premier siècle. Les apôtres étaient ceux qui à la suite de leur Maître était appelés à donner leur vie pour communiquer le dépôt de la foi, pour témoigner de la mort et de la résurrection du Christ. C’est dans le même sens que Marie-Madeleine sera reconnue comme étant l’apôtre des apôtres.
La vie des saints exprime comment la grâce apostolique habite le cœur du chrétien.
Gérard Leroy, le 31 octobre 2024
- cf. Claude Geffré, De Babel à Pentecôte, Cerf 2006, p 229.
- Henri de Lubac, La Foi chrétienne, 1969, Réédition : Œuvres complètes V, Cerf, 2008.