Pour le P. Patrick Valdrini, en hommage amical

   Le 9 février 2018 le Père Claude Geffré, op, nous quittait. Comme Paul Ricœur ou Hans Gadamer en philosophie, c’est lui qui a conduit le tournant herméneutique de la théologie.

Le P. Geffré fut successivement recteur des facultés dominicaines du Saulchoir, professeur à l’Institut Catholique de Paris, directeur du cycle des études du doctorat en théologie, avant de prendre la direction de l’École biblique et archéologique de Jérusalem, tout cela en dirigeant, pendant plus de vingt ans, la prestigieuse collection Cogitatio fidei aux éditions du Cerf.

Cet homme a été très tôt animé de la conscience lucide des orientations et des enjeux du Concile, soucieux de proposer l’accès à l’Événement fondateur en procédant à une interprétation actualisée des textes qui le relatent. Tout en restant fidèle à une histoire transmise, la théologie doit aussi avoir le souci d’adapter son discours à son temps. D’où l’exigence d’articuler ensemble une herméneutique de la Parole de Dieu et une herméneutique de l’existence humaine.

Le dialogue inter-religieux était au cœur de la théologie de Claude Geffré qui est devenu l’un des experts faisant autorité en la matière. Il n’est donc pas étonnant qu’il ait esquissé une théologie inter-religieuse qui, sans falsifier la singularité chrétienne, la ré-interprète à la lumière d’un savoir nouveau sur les traditions religieuses qui, comme le déclare le document Nostra ætate, tient compte des semences de vérité que ces traditions portent en elles. S’il revient au théologien de justifier la foi chrétienne, c’est en rendant justice à la foi des autres. Ce qu’a bien montré l’ouvrage de Claude De Babel à Pentecôte, paru aux éditions du Cerf en 2006.

Comment concilier l’unicité de la médiation du Christ dans le plan de salut de Dieu et la volonté divine de salut universel ? Telle était la question qui se profilait à l’horizon de la recherche de Claude Geffré.

Dans un ouvrage paru en 2012, qui qualifie le christianisme de “religion de l’Évangile”, Claude Geffré ne disqualifiait pas les autres religions. L’unique Sauveur du monde, celui-là seul par qui passe la grâce, n’entraîne pas, ipso facto, l’absolutisation du christianisme auquel il serait erroné de confondre l’universalité du Mystère du Christ. Jean-Claude Guillebaud a écrit que cet ouvrage était « posé tel une lampe à huile dans l’aveuglante obscurité médiatique », soulignant la liberté d’esprit et de parole dont les textes, érudits, ne manquent pas de communiquer la foi de l’auteur. Geffré dénouait des contradictions, ouvrait des issues dans des débats médiatiques qui semblent désespérément fermés.

Prenons le temps de lire Claude Geffré. Ça aide à respirer mieux.

 

Gérard Leroy, le 9 février 2024