Pour Fr. Charles, en hommage amical

   Notre pays a une tradition d’immigration depuis longtemps. La France est effectivement un pays d’immigration au lendemain de la première guerre mondiale, qui accueillait plus d’immigrés que le Nouveau Monde. Ce qui explique en partie des législations sociales très développées.

À partir des années 1960, nous avons connu une augmentation importante de l’immigration maghrébine. La diversité culturelle a été causée en France dans sa nature et dans son étendue par l’après-guerre d’Algérie. Les Algériens sont venus en France, dès le début des années 60, par milliers. En débarquant à Marseille, Nîmes, Montpellier ou Paris, les gens qui venaient d’Algérie n’ont pas abandonné leur foi à la consigne de l’aéroport, comme les Bretons au début du siècle dernier abandonnaient la leur à la Gare Montparnasse ! Les Algériens qui débarquent en France apportent dans leur valise leur Coran et leur croyance musulmane. Les Africains du Nord en France sont venus travailler pour peu cher. On compte alors, dans les années 1960, 800 mille Algériens, 400 mille Marocains, 200 mille Tunisiens. Ces gens se tournent vers la sidérurgie, l’automobile, ou le BTP. Le regroupement familial promulgué en 1974 entraîne l’arrivée massive de gens plus ou moins apparentés, l’homme faisant venir ses femmes qu’il déclare comme mère, sœur, fille ou bru. On assiste bientôt à la création d’entreprises, en BTP, à l’ouverture d’épicerie arabes...

En 1981 est décrété la libéralisation du droit associatif. Ce qui entraîne la multiplication d’associations à label communautaire, juives, chrétiennes.

Au bled, le migrant a l’identité de « Français » ; dès qu’il rentre en métropole il est « arabe ». D’où la question du migrant : « qui suis-je ? ». D’où sa révolte contre les parents... qui démissionnent. Tandis que les enfants vont à l’université et/ou obtiennent un travail, le père et le grand-père pointent au chômage. D’autres enfants sont très tôt dé-scolarisés. Conclusion : la destruction identitaire est remplacée par une exacerbation de l’identité musulmane, nourrie par un imam qui victimise les musulmans. Enfin la guerre en Afghanistan factorise l’appartenance et la revendication religieuses. Au début des années 1980, ces musulmans en perte d’identité sont recrutés, d’abord par Al Qaida, puis par Daesh.

Cette immigration s’est fortement diversifiée. Un peu plus de sept millions d’immigrés, c’est-à-dire nés à l’étranger, dont deux millions et demi ont acquis la nationalité française.

Le mot « migrant » renvoie à plusieurs situations, familiales, professionnelles, certains venus pour suivre des études, ou d’autres encore en situation de demandeurs d’asile.

La solidarité s’est exprimée en faveur de chacun de ces cas, tandis que déferle un chaos de pensées tragiques oublieuses de la vertu humaine de sollicitude. La guerre en Ukraine nous a réveillés. En mars 2023 nous estimons à 100 000 personnes, adultes et enfants, le nombre d’Ukrainiens présents sur le sol français.

Les personnes s’acculturent selon notre capacité à favoriser leur intégration, par le partenariat, la coopération, le partage des responsabilités.

Les écarts culturels et sociaux entre autochtones et immigrés se sont accrus. Le spectre des diversités s’est élargi, au cœur d’une société qui change, et qui observe tout la fois la vague sécularisée, le raidissement des courants laïcs, l’affadissement de leurs espérances, le recul du christianisme social. Comment faire peuple ensemble ?

La politique s’empare de la question de l’immigration, ignorant bêtement la part culturelle du phénomène social. Un projet de loi, encore un, se donne pour perspective de « contrôler l’immigration et améliorer l’intégration », en promouvant l’intégration par la langue. Une culture est en effet opératoire au niveau de ses réflexes culturels, dont la langue, comme la salutation, la gestion de la territorialité, la gestion du temps. L’on exigera sans doute un niveau de français minimum. À condition de ne pas occulter les complexes liés à une culture, la cuisine, l’habitat, le vêtement, la relation au travail. Il convient encore de tenir compte des modèles d’une culture pour la comprendre et la partager, et apprécier ses niveaux opératoires tels que la naissance, le mariage, le mystère de la liberté responsable, les funérailles. Toute personne arrivée jusqu’à nous doit être considérée comme un prisme dont ils nous faut découvrir chacune des facettes. Cela prend un peu de temps, d’écoute et de curiosité. La personne migrante doit pouvoir bénéficier immédiatement d’un titre de séjour plutôt que de nous dédouaner en exploitant un code qui renvoie la personne dans son pays d’origine.

 

Gérard Leroy, le 15 juin 2023