Pour Pierre et Apolllne que j’embrasse.

   Les plaines de Sumer étaient autrefois arides avant que naissent et que soient irriguées et fertiles, des villes comme Ur, Uruk, Eridu, Nassyria, aux murailles ciselées que surplombent les silhouettes de ses sanctuaires. Les tours à étages, qu’on appelle des ziggurats culminaient jusqu’à 90 mètres. Comme celle de Babel.

Le dernier étage était réservé à un petit temple dont les murs étaient confectionnés avec des briques émaillées bleues. On venait y vénérer les dieux et les divinités astrales dès le XIXe siècle avant notre ère. La construction de ces ziggurats avait pour premier objectif d’entreposer le grain. Car dans la région d’Eridu, quatre millénaires avant J.C., on avait inventé l’ancêtre du brabant, l’araire attelé qui a permis un tel accroissement de la production du sol que fut abandonnée la cueillette sauvage. Du fait de l’abondance soudaine des récoltes, il fallut protéger le grain stocké dans ces ziggurats imposantes contre les pillages. Ce qui entraîna la naissance d’une inédite corporation, celle des soldats. Et si les soldats ne suffisaient pas à repousser les brigands, alors on avait recours aux moines et à leurs incantations en vue de détourner les pilleurs. L’agriculture, le soldat et le moine constituèrent alors les premières corporations des premières cités, tel Eridu, s’organisant autour de ces gigantesques édifices, surmontés d’une chapelle où le dieu Mardouk était censé descendre.

D'après les statistiques la moitié de la population mondiale résiderait en ville. Beau succès pour les Sumériens qui initièrent ce mode de vie il y a plus de cinq mille ans. Comment et pourquoi ses anciens « rats des champs » se sont mués en « rats des villes ». Hélas, ces premières villes en briques crues ont laissé des vestiges trop érodés pour que les archéologues aient une vision précise de cette mutation.

C'est à partir des caractéristiques urbaines achevées que les archéologues repérèrent leurs premières indications. Un Australien a ainsi été le premier dans les années 1930 à parler de révolution urbaine en examinant le résultat des fouilles allemandes de Uruk. À Uruk, à partir du quatrième millénaire, l'agglomération s’était non seulement accrue de façon spectaculaire, mais une architecture monumentale apparaissait, regroupant les activités politiques, administratives, religieuses. C’est là qu’ont été trouvées les premières tablettes cunéiformes.

L’agglomération du IVe millénaire concrétisait une nouvelle organisation, de type étatique, structurée, hiérarchisée, qui mûrissait sans doute depuis longtemps au sein des communautés villageoises mais qui n’en manifestait pas moins une transformation des modes de vie et de mentalités.

Un réseau de grandes villes se tissa alors dans le pays de Sumer chacune siégeant sur un territoire agricole qu'elle administrait et dont elle tirait sa subsistance, ayant en commun une langue, une écriture, et une vision du monde. Les ressorts de cette révolution urbaine furent-t-il plutôt économiques, technologiques, écologiques, psychologiques ? Diverses explications ont été tentées, mais les archéologues préfèrent constater plutôt qu’expliquer.

Le mode de vie urbain et ses infrastructures ont vite conquis les régions avec lesquelles le pays de Sumer était en relation : la région de Suse, en Iran actuel, et la Mésopotamie du Nord. C'est d'ailleurs à Habuba Kabira, en Syrie du Nord, que les archéologues ont découvert dans les années 1970 la plus ancienne ville créée ex nihilo connue à ce jour. Contemporaine de la première ville d’Uruk, elle a peut-être été fondée par des colons urukéens, vers 3500 avant J.-C.

 

Gérard Leroy, le 24 juin 2022