Pour ceux dont le repas a manqué de ce quelque chose qu’on appelle le sel.

   Depuis la nuit des temps l’homme atteste de la permanence d’un manque marqué par l’absence d’une perfection. L’homme est en quête d’un vouloir-être par-delà son immédiateté quotidienne. Alors il en appelle à une société sans classe, à une République achevée, ou bien attend-il le Royaume des Cieux. Cette quête est aujourd’hui en panne. L’évocation en réunion de famille d’un de ces sujets soulève aussitôt la crainte de la houle.

Ainsi, à table, on échange souvent les idées toutes faites, des souvenirs communs, sur un travail, des vacances, un voyage, tout cela qui s’estompe avec le temps qui passe.

Il faut reconnaître que notre société consumériste a confisqué notre liberté, aujourd'hui sollicitée par une foule de stimuli qui encombrent la vie quotidienne (à quelle heure dois-je régler mon réveil ? À quand la révision de ma voiture ? Que vais-je faire pour le dîner ? etc.).

On cause de tout cela. On ne parle pas.

Car il y a les convictions, qu’on garde pour soi par crainte de taquiner les idéologies, même superficielles, ou bien par méfiance indécrottable de devoir en changer, entraînant dans notre économie intellectuelle des bouleversements redoutables, des remaniements sans fin. Il y a en effet un conformisme intellectuel ambiant où croupissent des lieux communs qu’on se passe et ressasse sans jamais s’être interrogé sérieusement sur leur validité, encore moins leur portée.

Notre liberté s'y épuise et il lui reste parfois peu d‘espace pour se confronter à des réflexions qui débouchent sur un autre univers, susceptible d’amorcer les questions essentielles que nous partageons, et qui s’appellent le mal, le progrès, la liberté, tant dans son rapport avec les institutions que dans son rapport avec la grâce de Dieu, les relations de la science et de la foi, le devenir humain, l’amour, la justice, le sens de la vie et de la mort, le mystère de Dieu…

La question se pose : comment dresser l’inventaire de nos certitudes, discerner ce qui relève moins de l’intelligence que de l’affect, de ces notions flottantes, de ces assertions mal contrôlées, à l’origine bien souvent des conflits ou des crises.

Se taire, non pour éviter mais pour écouter. Sachant que le meilleur de nous même nous vient le plus souvent de ce que nous offrent d’autres consciences.

Gérard Leroy, le 24 octobre 2025