Pour notre évêque, et pour l'équipe de l ‘évêché de Carcassonne et Narbonne
À la demande des protestants de Tübingen qui lui avaient demandé de réfléchir à la question : « Qu’est-ce que théologiser ? » le philosophe allemand Martin Heidegger avait répondu que la théologie est « une science du dévoilement d’un étant donné dans l’histoire ». Tentons de dévoiler ce qui apparaît avec la mort de Jésus de Nazareth sur la croix : nous sommes à la jointure de l’histoire et de l’eschatologie, du temps et de l’éternité, de l’homme et de Dieu. Dans l’incarnation réside l’absolue singularité de Jésus de Nazareth. Sur la Croix Jésus meurt à sa particularité, pour s’élever en figure d’universalité concrète au matin de Pâques. Sa Résurrection révèle à la fois sa divinité et son retrait, l’absence, le manque. Le christianisme est fondé par cette Absence originaire, ce retrait.
Le retrait du Jésus de l’histoire qui se révèle en même temps le Dieu Sauveur, est ce que les Grecs appellent la kénose, le retrait, le vide. Jésus de Nazareth s’est sacrifié à Jésus en tant que Christ, disait Paul Tillich. « Le Christ de Jésus est la négation de Jésus » disait-il. Jésus meurt à sa particularité pour s’élever en figure d’universalité concrète. À Jérusalem. À Pâques.
L’événement à inauguré un mode différent de penser et de parler de Dieu, en raison de la révélation faite par anéantissement de ce Jésus de Nazareth (cf Augustin).
Les chrétiens ne sont fidèles à leur singularité propre que pour autant ils font la preuve que, loin d’appartenir à une religion impérialiste et inclusive, le christianisme se définit par la kénose (le retrait) du Dieu de Jésus-Christ et du Christ lui-même. L’expérience chrétienne est d’abord l’expérience de cette origine toujours manquante qu’est l’altérité même de Dieu, que vient nous rappeler pour nous relier à lui, l’Esprit. En fait, le paradoxe du christianisme se manifeste dans le mystère du Christ qui rassemble " l’identité de l’absolument concret et l’absolument universel " (1). En Christ, l’absolument concret et l’absolument universel s’identifient.
Cette continuité entre le mystère du Logos et de sa pleine manifestation dans l’histoire en Jésus de Nazareth fait du christianisme une religion unique. Le mystère de la kénose du Fils de Dieu est fondement de l’Église. Ce mystère apparaît comme la condition d’ouverture vers les autres – d’où l’absurdité d’évacuer du dialogue interreligieux une christologie normative au profit d’un théocentrisme relativiste.
Jésus-Christ est révélé au matin de Pâques. Il est le Logos, manifesté à la fois comme l’absolument concret et l’absolument universel, qui « meut le soleil et les étoiles » disait Simone Weil.
Gérard Leroy, le 11 mars 2022
(1) Claude Geffré, De Babel à Pentecôte, p. 87.