Pour Philippe Weickmann, en hommage amical
Les sociétés libérales développent une conception bien définie de la « vie bonne », imposée par l’économie. On n’hésite pas à réserver des milliards à la publicité et au marketing pour exciter le désir des masses sur des produits marchands, innovants, « branchés », et dont l’obsolescence de surcroît est programmée.
Les marchandises s’achètent. Les biens communs sont disponibles pour tous et sans valeur vénale. Le bien commun se réalise également par les biens collectifs, les uns fournis par la nature, les autres par les cultures humaines. Un immense travail est à entreprendre, qui va des biens collectifs les plus matériels (égouts, voirie, eau potable, etc.) aux plus immatériels (la confiance, les savoirs, les arts) à travers les institutions, l’éducation, toutes les formes de sociabilité, la santé, internet, le savoir-faire etc.
Loin de notre civilisation occidentale, les épicuriens visaient d’abord la suppression des manques vitaux. Ils invitaient en effet à goûter le plaisir de manger à sa faim, de boire à sa soif, de dormir à sa fatigue. Notre occident rassasié n’apprécie plus ces plaisirs que comme ordinaires, voire dûs. Or, écrivait Épicure dans sa Lettre à Ménécée, « le pain d’orge et l’eau nous causent un plaisir extrême si le besoin de les prendre se fait vivement sentir ». Ce qui veut signifier que l’abondance n’est pas nécessaire, et qu’il n’est nul besoin de s’enivrer, de sophistiquer des plats en sauce et de relier la grasse-matinée à la sieste !
L’échange des biens marchands s’intègre dans les relations humaines. Ces biens ne nous rendent réellement heureux que dans la mesure où ils sont associés à des biens collectifs. Le plaisir de boire un verre n’est jamais autant apprécié que s’il est partagé avec un ami. Les relations de travail peuvent elles aussi être une source de socialisation, de bien commun vécu. Il arrive que la production d’un bien marchand entraîne la dégradation d’un bien collectif, qu’on identifie au bien commun. Le bien marchand peut entraîner la dégradation quand de grandes entreprises produisent des plantes résistantes aux herbicides, elles entraînent en même temps la dépendance de petits agriculteurs, notamment des pays pauvres.
Les biens marchands s’achètent (ou se vendent). Un bien collectif culturel exige, de l’énergie et du temps. Il nourrit la consistance de soi. Les biens collectifs culturels deviennent partie intégrante de ce que nous sommes, tout en étant supports d’un lien avec les autres. Ainsi du langage, l’un des premiers biens collectifs que nous apprenons à intérioriser. Un bien intime et précieux puisque notre capacité de pensée, de réflexion et d’accès à d’autres biens culturels en dépend. C'est un bien que nous partageons avec les autres.
"Dès que nous sommes nés, le monde commence à agir sur nous, disait Goethe, et ainsi jusqu’à la fin, en tout ! […]" Au fond, nous avons beau faire, nous sommes tous des êtres collectifs ; ce que nous pouvons appeler notre propriété au sens strict, c’est peu de chose ! Nous sommes peu de chose ! Tous, nous recevons et nous apprenons, aussi bien de ceux qui étaient avant nous que de ceux qui sont avec nous.
Gérard Leroy, le 4 février 2022