Vous voilà enfin délesté, Cher Donald, d’une tâche bien trop importante en regard des faibles moyens dont vous disposiez. Bienvenu dans le vestiaire des petits. Je m’apprête à vous y accueillir.

Vous vous êtes pourtant battu, Donald, jurant par ci, jurant par là, jurant à langue raccourcie, que vous étiez le génie (1) dont la grande Amérique avait besoin pour ne pas dévaler dans l’égout sans fond de l’estime générale, afin d’être relevée aux yeux du monde.

Vous avez fait montre d’une belle détermination. Quand, en février 2017, à un rassemblement républicain en Floride vous avez dénoncé les migrants responsables d’attaques terroristes ; quand vous avez décidé d’abroger l’ObamaCare qui devait soulager les frais sanitaires d’une population qui n’avait qu’à mieux travailler à l’école ; quand les journaux ont voulu démentir le nombre fabuleux des gens qui acclamaient à tout rompre votre investiture ; quand votre grande fi-fille a créé 14 millions d’emplois en 2 ans et demi, soit deux fois plus que les emplois créés aux USA au cours de cette même période ; quand personne ne voulait vous croire à l’annonce que les démocrates opposés à l’IVG exécutaient des bébés vivants aussitôt qu’ils étaient nés ; quand la méthode dilatoire du Congrès tardait à valider votre mur resté à l’état d’ébauche, alors que pour mettre un terme à l’immigration clandestine, vous sépariez les familles à la manière d’un cow-boy qui sépare les bêtes de son ranch ; quand vous avez fait établir des mini-camps de détention à la frontière mexicaine, et qu’on pouvait y voir des enfants agrippés aux grilles, comme ceux d’Auschwitz.

Quand le leader coréen du Nord avait affirmé que : « le bouton nucléaire (était) sur (son) bureau » et que votre répartie, cinglante, priait : « quelqu'un de son régime, désolé et affamé, de l’informer » que vous disposiez d’un bouton nucléaire beaucoup plus gros et plus puissant que le sien » Envoyé ! « qui de nous deux a la plus grosse quéquette ? »

Quand enfin, une main sur la Bible, le fusil dans la tête, vous étiez sûr que la désinfection par injection d’eau de javel suffisait à neutraliser le coronavirus, en 5’. Fallait-il que les toxicologues soient stupides pour lancer l’alerte et prier de ne pas boire de cette eau de javel. La pauvre Deborah Birx, votre médecin chargée de la cellule de crise de la covid 19, a bien failli, ce jour-là, faire un infarctus. Vous avez seulement manqué d’eau de javel, Donald, voilà tout. Le monde s’acharnait contre vous.

Claque de fin

Vous avez dévoré les délices du pouvoir, derrière vos bobards de sale gosse. Vous vous imaginiez pouvoir empêcher l’humanité de continuer à tourner sans vous. Vous avez gouverné comme ces mômes qui construisent avec leurs petites pelles des friables châteaux de sable capables de résister à la marée montante.

Grandiloquent manipulateur des foules haineuses, vous avez, dans un dernier sursaut cathartique, lancé vos troupes de zozos nazis à l’assaut du Capitole. Dépassé par la violence incontrôlable que vous avez initiée, vous vous êtes éclipsé, penaud. Le gros bonhomme s’en est allé, défait, accompagné de sa radieuse épouse, enfin délivrée de cet aquarium de piranhas pour recouvrer la vraie vie. Fin d’un mauvais feuilleton qui aura tenu en haleine les humains de toutes les nations durant quatre ans.

À quoi ça ressemble ?

Il n’est pas rare de voir associés, identifiés même, ce mot nouveau qu’est le « trumpisme » au fascisme, ne serait-ce qu’en visionnant l’assaut du Capitole le 6 janvier 2021, à l'incitation du président sortant D. Trump.

Fascisme ? Le mot, courant, est devenu péjoratif tant on déplore qu’il traduise un système totalitaire, nationaliste, dont le gouvernement détient le contrôle d’une économie entièrement au service de l’État. Selon l’étymologie le mot vient du latin facis, dont on tire le mot fascié, litt. « fagot », symbole des fagots de tiges enterrant une hache, sans cesse repris, de Rome aux révolutionnaires italiens de la fin du XIXe siècle, pour évoquer la solidarité des militants, syndicalistes et nationalistes. On a perçu aussitôt l’analogie du mouvement fasciste et celui des émeutiers radicaux du Capitole, et de son initiateur.

La conception économique du fascisme, qui s’inscrit entre capitalisme et marxisme, renvoie au contexte de crise et d’humiliation des faibles vivant médiocrement. Robert Paxton (2) explique que le fascisme peut détruire une vie, victime involontaire parce que rendue irresponsable, des affres de son époque. S’érige alors un sentiment de persécution dû à l’incapacité d’entreprendre une action transformatrice de la justice sociale, appelée à cor et à cri pour des raisons essentiellement économiques. L’homme nouveau du fascisme c’est l’homme qui, conscient d’une possible déliquescence de la nation, choisit délibérément de l’instrumentaliser, de la dramatiser pour justifier le recours à la violence contre un « système » jugé complice de cette dégradation. La dictature de ces malades de persécution prétend effacer d’un revers de main toutes les angoisses de ce prolétariat en haillons, qui espère en un chef qui viendra les récompenser de toutes les privations subies au cours d’une existence traversée comme « une vallée de larmes » (3). Le fascisme s’inaugure d’abord dans la soumission de soi à un chef. Ainsi a-t-on perçu l’identification des russes communistes au « Petit Père du Peuple » Staline, phénomène qui se reproduit dans les régimes soumis à la volonté virile d’un dictateur, qu’ils s’appellent Bolsonaro, Khamenei, Mougabé, Erdogan, Lumumba ou Assad. On a observé tout cela dans l’identification affective au führer (4). « Les agitateurs donnent à entendre que le Guide est quelqu’un qui ose sans complexe » (5) (« c’est à ça qu’on les reconnaît » faisait dire Audiard dans Les Tontons flingueurs). Pour peu qu’il avoue sa faiblesse, l’homme fort s’identifie à la masse, laquelle trouve un leader qui lui ressemble. Le tour est joué.

Le choix d’un pseudo leader par la masse donne à celle-ci l’illusion d’une protection dont le peuple croit avoir besoin. L’individu s’identifie progressivement à son leader. Chaque national-socialiste se prenait pour un petit Hitler. Mais ce n’est pas d’abord le charisme du leader, son intelligence, son sens de l’histoire, qui lui confèrent un pouvoir sur la foule. Tout part de ces individus, décérébrés par leur éducation patriarcale et leur servitude volontaire (6) qui aspirent à être dirigés par celui qui leur donnera « l’illusion de protection infantile dont ils ont besoin émotionnellement » (7). L’individu faible se renforce quand, asservi délibérément, il croit faire partie de la race des maîtres, convaincu d’être conduit par un « génie », quand il n’est qu’un simple suiveur sans importance et sans voix au chapitre. On met ici le doigt sur l’explication psychanalytique du fascisme présentée par la philosophe-psychanalyste Cynthia Fleury (8). Moins un individu sait commander à lui-même, moins il sait se donner des mobiles et des fins, et plus il appelle quelqu’un qui commande. Ce qu’a bien montré Nietzsche (9). L’individu éprouve alors un besoin impérieux de se donner un guide, un gourou, quelqu’un qui commande, qui vient avec ses vérités. Ça peut être Dieu, mais aussi le prince, la classe sociale, le psychanalyste, la conscience de parti… Donald ! Toutes ces entités viennent investir sa volonté qui obéit, qui se laisse conduire. Il y a altération de la personnalité, qui se transfère sur la personnalité du chef, du führer. N’importe qui peut mener des hommes asservis. Le chef, lui, est le « Grand Réifié » de la foule écrit C. Fleury, laquelle est dé-responsabilisée par le chef. La philosophe Hannah Arendt a bien montré le simulacre de dé-responsabilisation qu’avaient opéré les chefs.

Certes le charisme aidant du leader pourra renforcer ce ravissement. C’est bien le point positif que nous reconnaissons à Donald Trump, à qui il ne reste plus aujourd’hui qu’à rendre compte des avanies, financières, voire sexuelles, qui lui sont reprochées. La justice va lui chercher, sans plus de concession qu’il n’en eût pour les condamnés à mort, des poux dans sa tignasse blonde. Ça décoiffe !

 

Gérard Leroy, le 19 février 2021

(1) « L’égoïsme est un amour passionné et exagéré de soi même, qui porte l’homme à ne rien rapporter qu’à lui seul et à se préférer à tout. » cf. Cynthia Fleury, Ci-gît l’amer, nrf, 2020, p. 152.

(2) cf Robert Paxton, Le Fascisme en action, Seuil 2004

(3) cf. K. Marx, Manuscrits de 1844, éd. sociales 1972.

(4) cf. Wilhelm Reich , La psychologie de masse du fascisme, Petite Bibliothèque Payot, 1979

(5) Cynthia Fleury, Ci-gît l’amer, nrf, 2020, p. 121.

(6) Ce qu’explique Montesquieu à propos de la politique, Émile Brehier à propos de la religion, Blondel qui distingue la volonté voulante de la volonté voulue en introduction de sa thèse sur L’Action, ou Hegel en présentant la dialectique du maître et de l’esclave, et mieux encore E. de La Boétie dans La servitude volontaire.

(7) C. Fleury, op.cit., p 159.

(8) C. Fleury, op.cit., p. 190.

(9) cf. F. Nietzsche, Ainsi parlait Zarathustra, chapitre des Trois métamorphoses, Trad. M. de Candillac, Gallimard/idées, 1971.

 

Donald Trump,

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