Pour Paul-Serge Ponrouch, et Maryline Lugosi, en hommage amical, en écho au thème du PUC cette année.

   Lors d’un colloque sur l’inter-religieux  un professeur responsable d’un comité de défense laïc, agacé par la séduction opérée sur l’auditoire par l’intervention d’un chrétien, lança brutalement : « Personne n’a jamais démontré l’existence de Dieu !». Il avait partiellement raison, encore que c’était mettre sous cloche les travaux d’Anselme de Cantorbéry et de Thomas d’Aquin.

Cherchant à savoir « qui est Dieu » saint Augustin a commencé par se pencher sur la nature divine commune aux trois personnes de la Trinité. Tandis que saint Thomas d’Aquin inaugura plus tard une théologie non des natures divines mais des « qualités communes aux trois personnes ». Quant à Descartes il n’y est pas allé par quatre chemins. Sa preuve « ontologique » s’appuie sur la qualité  première de Dieu : sa perfection. Comme être parfait il ne peut lui manquer l’existence. Expéditif !

Thomas, lui, ne craint pas d’utiliser toutes les ressources philosophiques au service d’une meilleure intelligence du mystère de Dieu. Elles lui permettent d’approcher l’intelligibilité du mystère divin en lui même, s’appuyant sur la réponse de Dieu à Moïse qui lui demandait « quel est ton nom ? » (Ex 3, 14). Dans la tradition biblique le nom révèle le sujet (1), sa naissance (2), sa destinée (3), sa fonction, son rôle social. Moïse attend que Dieu déclare « qui il est » en se nommant. Dieu répond : « Yahvé », i.e. « Je suis qui je suis ». 

« Je suis », ou « Je suis celui qui est ». Cette visée ontologique identifie Dieu avec l’Être Absolu, i.e. « qui ne dépend de rien », « Suréminence inobjectivable » écrivait Thomas.

Il s’avère ainsi que le Dieu des philosophes et le Dieu vivant en Jésus-Christ sont un seul et même Dieu. Là se jouent les premières mesures de l’harmonie jouée par la foi et la raison.

La faillite de cette « onto-théologie » (qui a fait les choux gras de la critique de Martin Heiddeger), a sonné avec la mort de Dieu proclamée par Nietzsche dans L’insensé du Gai savoir, qui crie, au delà de la mort de Dieu, la non-crédibilité radicale du concept métaphysique de Dieu.

L’approche de Thomas d’Aquin respecte assez l’irréductibilité du Dieu de la Révélation et ne porte pas en germe le risque d’une fausse objectivation de Dieu. Thomas n’a pas cédé au mirage de l’identification du Dieu de l’onto-théologie aristotélicienne auquel serait subordonné le Dieu de la Bible. « Je suis qui je suis » opère un renversement. Thomas écarte l’existence pour dire « Dieu est au-delà de l’Être ». Il exhume Plotin († 270) et sera rejoint par Maître Eckart († 1328), lequel insista sur la pure transcendance, inatteignable par la pensée, l’ineffable de Dieu, échappant aux catégories de l’être.

Écoutons cet extrait poétique de l’Hymne à Dieu de Grégoire de Nazianze († 390) qui ramasse sublimement cette modeste réflexion:

« Ô Toi l’au-delà de tout,

comment t’appeler d’un autre nom ?

Quelle hymne peut te chanter ?

Aucun mot ne t’exprime.

Quel esprit te saisir ?

Nulle intelligence te conçoit.

Aie pitié, ô Toi, l’au-delà de tout ;

comment t’appeler d’un autre nom ?

 

Gérard Leroy, le 11 octobre 2024

 

(1) Ainsi Adam, déclinaison de « adamah », « tiré de la terre », « tiré de l’humus” » et qui signifie sa provenance. Ainsi Abraham, nom substitué à Abram (« maître », ou « seigneur ») et que Dieu change en « père de la multitude » (cf. Gn 17, 5).

(2) L’accouchement de Rachel fut si pénible qu’elle appela son enfant “Ben-Oni”, « fils de ma douleur », plus tard nommé par Jacob « Benjamin », “Fils de la droite » (Gn 35, 16-18)

(3) Jacob, qui a pris le droit d’aînesse d’Esaü en se substituant à lui au moment de la bénédiction donnée par le père, est le bien nommé « Celui qui a supplanté » (Gn 27, 36).