Pour Pierre et Annette Jany, que j'embrasse
À l’aube du christianisme les premières communautés de croyants prenaient l’Évangile comme Événement, et en déduisaient l’urgence de promouvoir l’amour, le pardon, le partage. Et puis est arrivée la période constantinienne. Dès le IVe siècle le christianisme a commencé à déraper. À partir de ce moment-là, quand Théodose déclara que l’Empire était un Empire chrétien voulu de Dieu, l’Église a aménagé les choses. L’Empire était chrétien, officiellement. Des conciliations ont été mises en place. On a peu à peu radicalisé l’institution. Le christianisme s’est entiché du pouvoir politique. Certes il n’était pas facile d’éviter le piège, sinon de la collusion, du moins de l’association, avec l’État. Les religions de l’Antiquité constituaient toujours un modèle, elles qui, le plus souvent, avaient été indissolublement liées aux pouvoirs politiques. Mais la plupart d’entre elles ne se préoccupaient guère du salut des âmes, alors que l’au-delà de la mort constituait la préoccupation centrale du christianisme. Ce lien avec l’État a entraîné la confusion. Les religieux prenaient en charge les soucis et les tâches qui ne leur revenaient pas en premier, attitude qui leur valait une considération à la hauteur de la vénération manifestée à tous les hommes de pouvoir dont on attend d’ordinaire qu’ils résolvent les problèmes et les misères de la population.
Chemin faisant, la mission spirituelle commençait à passer au second plan.
C’est cette défection qu’ont accusée les chrétiens du Haut Moyen-âge. C’est ce qui explique la naissance de mouvements contestataires et le déploiement de la vie monastique, comme protestation et quête d’un retour à l’essentiel évangélique, à contre-courant des frasques d’une Église qui en arrivait à mener grand train, surtout vers l’An Mil. Peu à peu l’habitude a été prise de ne plus vivre l’Évangile dans sa radicalité. L’Église se rangeait. Et n’avait plus de quoi étonner le monde. Elle était perçue comme une force, sociale, morale et politique.
Il semble qu’on ait eu alors affaire à deux sortes de chrétiens. Des chrétiens de première classe et des chrétiens de seconde classe. Depuis le IVe siècle le monde ne s’en est pas remis. Saint Jérôme († 420), faut-il le rappeler, dénonçait cela dès le Ve siècle : “Depuis les Apôtres jusqu’à notre époque, l’Église a grandi par les persécutions, a été couronnée du martyre. Et quand sont venus les empereurs chrétiens, sa puissance et sa richesse ont augmenté, mais ses vertus ont diminué.”
L’incroyance actuelle, les urgences de l’évangélisation peuvent évidemment secouer. Les chrétiens ont à redevenir des chrétiens de première classe, où qu’ils soient dans le monde, en annonçant cette formidable, extraordinaire, invraisemblable nouvelle sur laquelle ils vont avoir à s’expliquer : Christ est ressuscité !
On a bien tenté de déduire le fait chrétien, l’expliquant à partir d’un Dieu démontré, que la raison impose. Des philosophes, tels que Spinoza, Kant, ou encore Hegel, s’inscrivent dans cette option. N’a-t-on pas parlé de foi philosophique comme étant la foi raisonnable, avec un brin de condescendance pour la foi du "bon peuple". Or, le fait chrétien ne se déduit pas. C’est toujours à un Dieu métaphysique que cherche à s’arrimer, pour y adhérer ou pour s’en séparer, la pensée des philosophes. On ne déduit pas le fait chrétien. Le fait chrétien est original. Mais alors, comment les Palestiniens, les Grecs, les Romains, ont-ils reçu et cru à cette histoire dont certains témoignaient ? Quelles questions ont surgi de la première expérience croyante ? Qu'ont dit ces gens dont l’entrée en exercice commence dès le cinquantième jour après la Résurrection ? Et les chrétiens d’aujourd’hui, quel regard portent-ils sur ces événements ? Et qu’en font-ils ?
Gérard LEROY, le 28 août 2015