Pour Henri-Luc et Paule, avec mon affection
Le sujet serait né bon. La société l’aurait perverti. La thèse de Jean-Jacques Rousseau est à l’opposé de celle de Thomas Hobbes, lequel proclamait que “l’homme est un loup pour l’homme”, un être méchant à l’état de nature, mû par le souci du profit, de la sécurité et de la réputation personnelle. Pour J.J. Rousseau, la conduite de l’homme ne résulte pas d’un jeu de forces mécaniques et d’une soumission aux passions, à la recherche de la conquête d’autrui par la violence ou par la ruse. L’homme est un être sociable, perfectible et raisonnable.
Quelle est la valeur inaliénable principielle ? Rousseau choisit la liberté — “La liberté ou la mort !”—, Alors que pour Thomas Hobbes la valeur inaliénable est la sécurité. Liberté et sécurité seraient-elles inversement proportionnelles ? La Boétie montre que l’esclave peut préférer se réfugier dans l’aliénation (1).
Les hommes seraient faits pour vivre ensemble, pense Rousseau. Il suffit pour cela d’un contrat qui permet d’instaurer la loi grâce à laquelle la violence serait maîtrisée.
La loi doit être en conformité avec la volonté générale dont elle émane, et qui fonde la souveraineté républicaine. Toute volonté particulière doit être conforme à la volonté générale. Les individus ne font que s’unir en un corps indivisible, qui ne prive tous les individus de leurs droits naturels que pour les rendre sous une autre forme, “meilleure et plus sûre.” Que l’unité s’effondre, et les parties contiguës n’ayant plus rien de commun sont là, bêtement juxtaposées. L’homme est mort, l’état est dissous.
Il y a donc grand intérêt à rechercher l’unité de volonté entre les chefs responsables et le peuple. C’est la condition d’une économie publique populaire. En revanche, et c’est une dialectique promise à une belle carrière, la divergence d’intérêts entre les chefs et le peuple nourrit des volontés opposées et menace d’entraîner vers une économie publique tyrannique (2). La patrie ne peut subsister sans la liberté, ni la liberté sans la vertu, ni la vertu sans les citoyens. “Tout homme est vertueux quand sa volonté particulière est conforme en tout à la volonté générale” (3) . Et la vertu ne peut subsister sans les citoyens. Or, ce qui rend vertueux, c’est d’être citoyen, qui veut ce que veut sa patrie. Que veut la patrie ? L’exécution des lois exprimant la volonté générale. “Vous aurez tout si vous formez des citoyens” (4).
Un citoyen, c’est un individu qui ne s’envisage “que par ses relations avec le corps de l’État” (5) . Que ma patrie devienne moi et réciproquement. L’identification est la seule issue. Ainsi subordonne-t-on toute chose à soi-même en assujettissant tout à la patrie (6).
Une conviction permanente anime Rousseau : l’homme peut accéder à la vertu, et s’y tenir. La réflexion de Rousseau ne peut penser le passage de l’antagonisme des classes à la concorde et à la justice sans faire l’économie d’un véritable pari sur la vertu.
À l’instar de son ami Rousseau, Montesquieu opte pour la transcendance de la société, et considère la liberté de chaque citoyen comme partie de la liberté publique. À l’État de faire découvrir les lois de la nature et le principe des liens de sociabilité.
L’observation de l’histoire de nos sociétés nous laisse cependant dubitatif sur les chances de ce pari pourtant ancré dans la nature de l’homme.
Gérard LEROY, le 18 mai 2012
- Étienne de La Boétie, Le discours de la servitude volontaire, Payot.
- Jean--Jacques Rousseau, Discours sur l’économie politique, ss la direction de Bruno Bernardini, Vrin, 2002, p. 49.
- id., p. 55.
- id., p. 55.
- J.-J. Rousseau, Discours sur l’économie politique, op. cit., p. 60.
- Cependant “chaque individu peut, comme homme, avoir une volonté particulière contraire ou dissemblable à la volonté générale qu’il a comme citoyen.” cf. J.-J. Rousseau, Du contrat social, I, 7. Est-il possible de séparer, voire opposer, deux volontés dans un individu, selon qu’il est homme ou citoyen ? Peut-on envisager la fonction politique en s’adressant à un versant —le naturel— en même temps qu’on en ignore l’autre —l’élément d’une structure sociale ?