Pour Marie, Bruno, Fr. François, Gaëlle, Bernard, Samuel, Maryline

   Le ressentiment d’être victime d’une injustice apparaît comme la source d’une révolte susceptible de se dilater et d’éclore dans la violence. Peut-on en déceler et la source et l’achèvement.

Le ressentiment apparaît comme cause de violence dans l’ouvrage Par delà le bien et le mal, Nietzsche le percevait comme une volonté négative, réactive, qui se déleste de la maîtrise de soi. L’homme exprime alors, de plus en plus fort, sa revendication, jusqu’à la révolte qu’il déclare et profère alors par procuration en se tournant vers l’autre, (l’État en l’occurrence, anonyme, ça ne risque rien) qu’il rend responsable de son mal-être ou de sa misère. La révolte peut alors se transcender en révolution. Marx l’avait bien compris (cf. Introduction à la philosophie du droit de Hegel), en démontrant la stratégie de ceux qui visent le pouvoir, consistant à flatter les révoltés pour les soumettre et les adjoindre à soi. Le révolté se déleste de sa personnalité transformée, devient lâche, voue sa confiance à un gourou ou un parti. Ce qu’il commet alors se réalise au nom de, et se dilue dans l’idéologie qui l’a séduit à l’origine. Il se radicalise.

Sa possibilité d’en arriver là est inscrite dans la constitution de l’homme (cf P. Ricœur, Philosophie de la volonté de l’homme, Aubier). Il y a dans l’homme, une fêlure secrète où s’installe le concept de faillibilité, qui n’est pas l’idée de limitation liée à la finitude. Ni à sa culpabilité. Mais à la reconnaissance d’une carence qui établit « une distance entre le mal possible et le mal réel, distance que la liberté peut franchir par un saut » (cf. Ricœur, Finitude et culpabilité). Le saut est opéré par la liberté.

En revanche, être homme c’est être capable de souffrir le désaccord et tenter, dit Ricœur, d’ « opérer des médiations ». Ces médiations, elles-mêmes fragiles, n’ont nullement le pouvoir de résoudre les dualités, d’où l’importance de reprendre le thème platonicien du cœur, cher au Frère François Bustillo, avec lequel s’achève cette anthropologie de l’homme faillible : la médiation la plus intérieure où s’atteste le mieux la fragilité constitutive de l’être humain.

La faiblesse « constitutionnelle » fait que le mal est possible tant que le « saut » que doit opérer la liberté n’est pas franchi. C’est là que s’impose le tournant méthodique qui conduit de la phénoménologie de l’homme faillible à l’herméneutique des symboles du mal.

La fragilité des choses humaines est partout. Y compris dans la chose politique. N’est-ce pas là qu’elle se révèle le mieux ?

Mais la véritable reprise de l’homme faillible se révèle dans l’altérité, et dans la conscience morale. En somme là où le cœur agit.

 

Gérard Leroy, le 17 janvier 2025