Pour Gilles et Mathilde de Baudus, en hommage amical
Si l’on ne peut concevoir la transmission du langage chrétien sans ré-interprétation créatrice, celle-ci sera nécessairement conditionnée par ce que nous avons considéré comme notre expérience historique. Au cœur de l’histoire présente, nous pouvons discerner un certain nombre de ruptures, brutales autant que récentes, qui appellent la réflexion éthique. Ainsi la mutation numérique, les mutations géopolitique, écologique, la désertification et la déforestation, et par-dessus le marché la révolution génétique, la mainmise sur les mécanismes de la vie, le « transhumanisme », qui voudrait corriger les ratés de la création.
Tous ces bouleversements se présentent comme des « signes de ce temps » qui remettent en question une lecture trop paresseuse de nos textes fondateurs.
Encore aujourd’hui, on sait à quel genre d’absurdités peut conduire une lecture littérale de la Genèse telle que la pratiquent certains fondamentalistes. Mais il y a d’autres « affaires Galilée » qui n’ont pas encore trouvé leur issue. Au-delà de la Parole de Dieu dont témoignent nos Ecritures-sources, Dieu continue à nous parler à travers les appels de la conscience humaine et des grands événements historiques, scientifiques et culturels de chaque époque. Parmi les signes des temps qui font partie de notre expérience historique, il nous faut distinguer les états de conscience nouveaux de l’homme moderne et les expériences révélatrices ou les indices de transcendance qui sont comme une anticipation d’une donation gratuite venue d’ailleurs.
En m’arrêtant sur les états de conscience nouveaux, je ne vise pas l’état des mœurs d’aujourd’hui, je me réfère plutôt à l’explicitation progressive des aspirations légitimes de la conscience humaine qui a trouvé son expression officielle dans la Déclaration universelle des droits de l’homme. Qu’il suffise d’évoquer les acquis difficilement contestables de notre modernité : l’égalité de l’homme et de la femme, le prix inviolable de la vie humaine d’ici-bas, le respect de la liberté de conscience, le droit à la liberté religieuse, la dissociation de la sexualité et de la procréation, le droit universel à un mieux-être, l’indépendance respective de l’Etat et des institutions religieuses…
En relisant nos textes fondateurs en regard de nos nouveaux états de conscience, il est incontestable que la littérature biblique témoigne d’une culture patriarcale et androcentrique. Il nous faut donc les relire à partir de notre conscience moderne de l’égalité homme-femme. En dépit de la nouveauté chrétienne (« il n’y a plus ni homme, ni femme », nous dit saint Paul), les textes du Nouveau Testament se font encore l’écho de la structure patriarcale des cités grecques.
Nous avons encore à ré-interpréter les textes du Nouveau Testament marqués par un anti-judaïsme indéniable en tenant compte de notre expérience du génocide juif au XXe siècle et de la révision d’une fausse théologie chrétienne du judaïsme opérée par d’anciens conciles. Et comment ne pas relire certains textes guerriers de l’Ancien Testament après avoir rallié le consensus sur l’égalité fondamentale entre tous les hommes ?
Le Dieu qui se révèle dans les deux Testaments est inséparablement un Dieu de justice et d’amour. Ainsi, au nom de l’élection d’un peuple et de la promesse d’une Terre sainte, Dieu ne peut pas cautionner l’oppression et le pillage d’un autre peuple. Une terre est sainte pour autant que les hommes y font régner la justice et la paix. Il y a une vieille règle herméneutique toujours valable selon laquelle on doit interpréter tel passage particulier en fonction de la totalité du texte et de la centralité de son message. Il faut parfois prêcher la critique de tel ou tel texte du Canon des Ecritures pour que la Parole de Dieu soit annoncée comme une Bonne Nouvelle de salut et de libération.
Gérard LEROY, le 4 septembre 2018