Pour le Frère François Bustillo, évêque de Corse, qui aime à citer Daniel dans son ouvrage (1)

   Daniel n'est pas l'auteur mais le héros du livre, qui interprète comme un mage les rêves des grands rois. Cet écrit tardif est rédigé 4 siècles après les événements qu’il raconte et qui se déroulent pendant l’exil, entre le règne de Nabuchodonosor et celui de Darius le Mède. Le livre a semble-t-il été écrit au milieu du IIe siècle avant notre ère. Les juifs venaient alors de subir les persécutions cruelles infligées par Antiochus Épiphane, roi séleucide, ennemi du peuple juif, aspirant à l’hellénisation de la Judée tout entière. Ce qui ne plut pas à une partie des élites juives hellénisées qui fondèrent la dynastie des Hasmonéens, et à la famille des Maccabées qui combattirent victorieusement Antiochus Épiphane, mort vers 165 BC, après avoir mené une politique qui le fit considéré comme l'un des derniers grands souverains séleucides.

Antiochus avait interdit, sous peine de mort, d’obéir à la loi de Moïse. C’était si beau, pour ce roi hellénisé, à l’instar de nombreux Babyloniens, de devenir un Grec.

Un épisode du livre montre Daniel jeté dans la fosse aux lions dont le roi Darius fait sceller le couvercle de pierre. Les fauves épargnent le condamné, et le roi leur jette en compensation ses accusateurs, dévorés avant d'être arrivés au fond de la fosse, ainsi, comme on s’en doute, que leurs femmes et leurs enfants.

À noter dans ce récit naïf, que le roi n'avait agit que contraint et forcé par ses ministres. S'étant approché de la fosse en tremblant il trouva Daniel en paix au beau milieu des lions. Sa joie n’en resta pas là. Il édicta que tous les peuples aient à bénir le Dieu d’Israël. Derrière les miracles se profile ce qui est le plus inouï : démontrer que le juste n’obéit pas par crainte et que la fidélité à la loi de Moïse n’entraîne chez le peuple élu aucun mépris pour les Nations du monde.

Tout récit, mythologique, biblique ou juridique, doit passer au crible de la critique textuelle pour permettre au lecteur d’accéder à une vérité signifiante plus importante que le support historique et découvrir que la signification de la vérité reste impossible à dire d’un simple point de vue scientifique ou philosophique, impossible à transmettre sans le détour, le secours du symbole et du mythe.

En sauvant Daniel, Dieu n'a pas voulu convertir le roi païen à la loi juive, mais il a changé l’homme. De même Nabuchodonosor se repent-il et s’efforce-t-il de plaire à Dieu. Récit invraisemblable en surface, mais instructif au fond sur les dispositions des hommes dont la persécution qu’ils subissent pourrait entraîner au fanatisme aveugle. La victoire sur la crainte de la mort dépassée par l'amitié au-delà des frontières ethniques et religieuses, voilà le plus inouï.

Dès la première semaine du monde un ordre a été transgressé. D'où une violence débordante que le « Fils d’homme » dominera. L'appellation « Fils d’homme » le situe à distance d’Adam, dont le nom veut seulement dire « homme », les bêtes de leur côté représentent les Nations devenues féroces. On est parfois incapable aujourd’hui de reconnaître ce qui est de l'homme et ce qui est de la bête.

En conformité avec le songe de Nabuchodonosor (Dn 2) le « Fils d’homme » représente le peuple d’Israël appelé à régner. Mais ça, Daniel ne le comprend pas sans qu'une des créatures qui entourent le Seigneur le lui révèle. Il apprend aussi du même coup que le Fils d'homme ne dominera pas les bêtes sans avoir été d'abord dominé par elles et vaincu (Dn 7, 21-25). Le Fils d'homme ne dominera pas la violence meurtrière sans d'abord l'avoir subie. Aussi sera-t-il dit, quelques générations plus tard, « il faut que le Fils de l’homme souffre » (Mc 8, 31). Jusqu’à quand ? Un fondé de pouvoir de Dieu, Gabriel, exauce Daniel et lui répond qu’ « il a été fixé 77 septénaires » (490 ans après l’exil) pour qu’advienne la justice éternelle ainsi que pour « sceller vision et prophétie » (Dn 9, 24) et installer le véritable Temple.

Autour duquel se joueront les enjeux décisifs dans les deux siècles qui vont suivre le livre de Daniel.

 

Gérard Leroy, le 10 septembre 2021

(1) François Bustillo, La vocation du prêtre face aux crises : La fidélité créatrice, Nouvelle Cité, 2021